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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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navire, avant de quitter son amarre, poussait les feux, dans les rumeurs de l’appareillage.
    Giulio Bertolini qui avait embarqué à bord du George Washington les reconnut, l’aîné qui pouvait avoir treize ou quatorze ans, l’autre, aux cheveux blonds, cinq ans avait dit son frère. L’âge de Dolorès. À un moment, Giulio détourna la tête, une mouette s’était posée sur le bastingage et paraissait le regarder, son bec noir long et inquiétant. Il y eut des cris sur le quai et sur le pont. Giulio vit d’abord la charge, une lourde malle cerclée de fer qui battait comme un pendule. Quelqu’un avait dû, au moment où la grue l’arrachait, lui donner une poussée et elle avait pris de l’élan, meurtrière.
    Le plus grand des deux enfants était couché sur le sol, des hommes penchés sur lui, l’autre à l’écart, oublié. Giulio Bertolini se mit à courir, descendant la passerelle qui vibra sous ses pas.
    Ma chère sœur, ma petite Lucia,
    Tu as dû recevoir ma lettre de La Paz. Je posterai celle-ci à la première escale, c’est-à-dire pas avant dix jours, puisqu’il nous faut ce temps pour atteindre Yokohama. De là, je poursuivrai vers Shanghai où je suis affecté. J’ai devant moi le Pacifique ample et serein. Mais je suis habité par la tempête comme je ne l’ai jamais été depuis mon adolescence au temps où, tu t’en souviens, après le décès de maman j’ai dû affronter la colère de père quand il a su que je voulais entrer en religion.
    J’essaie, pour échapper à mes tourments, de penser à toi : est-il possible que la frêle Lucia soit la mère d’un garçon de cinq ans déjà ? Parle à ton Serge de l’oncle lointain, du missionnaire qui reviendra bien un jour. J’ai lu dans l’un des journaux qui traînent dans les salons du paquebot que Jean vient de découvrir une loi qui bouleverse les données de la physique. Rien n’était expliqué de cette loi et d’ailleurs, dis-le à Jean, malgré la tradition scientifique des Jésuites, je me désintéresse actuellement de l’univers matériel. Ma vie est faite d’émotions dont je sens bien qu’elles sont excessives, mais en même temps, elles m’emportent et j’éprouve à les subir, une sombre délectation comme si elles étaient le signe d’une distinction d’ordre supérieur. Je n’ose écrire divine car l’orgueil est, tu le sais, le plus insupportable de mes péchés. Mais si je retrace les cinq dernières années de ma vie, j’y lis la succession troublante de coïncidences. Dolorès d’abord dans cette nuit du 1 er  janvier, le jour même où naissait ton fils, comme si un lien devait être tissé, de part et d’autre du monde entre ces deux enfants.
    Je me suis interrompu. La cloche impérative du repas. J’étais aujourd’hui l’un des invités du commandant Wildforce et je tenais à être à sa table car il est le premier à connaître les nouvelles et la guerre russo-japonaise m’importe. Je voudrais savoir quelle est l’opinion de ton mari, discuter avec lui comme nous l’avons fait dans les mois qui ont précédé ton mariage. Je crois que ce conflit annonce le début d’une longue suite de guerres, peut-être la naissance d’un brasier mondial qui fera de ce XX e siècle la plus cruelle des époques de l’humanité. Ce que nous a dit le commandant Wildforce ne peut que me confirmer dans cette opinion. La victoire des Japonais sur les Russes, si elle devait s’affirmer, me semble aussi sonner le glas de l’empire chrétien de Russie. Qui lui succédera ?
    Mais je reviens à ma méditation face à l’Océan. Je passe mes journées sur l’un des bancs placés sur le pont supérieur et tourné vers la proue. Rares sont les passagers qui le fréquentent, le vent est vif, vent debout. J’aime au contraire cela, je m’enveloppe dans une couverture, je lis, je prie, je pense à toi, à ton fils, à Dolorès et à cet autre enfant.
    Je te parlerai de lui mais je veux d’abord te demander à nouveau de ne pas oublier Dolorès. Sans doute as-tu écrit à Maître Trevijano. S’il sent qu’il y a de l’or à gagner, il agira. Il appartient comme tous les hommes de loi à la tribu des rapaces. Je fais une entière confiance au père Cartillo. Nous nous sommes heurtés plusieurs fois. C’est lui qui m’a séparé de Dolorès mais il est Espagnol. Il a le sens de l’honneur. Il ne fera rien contre ma décision de léguer mes biens à Dolorès. Je sais que ni toi ni ton mari ne

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