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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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m’en voudrez. Serge a bien assez, n’est-ce pas ? Depuis cinq ans, depuis que j’ai été conduit vers Dolorès, il ne s’est pas passé de jour que je n’aperçoive des enfants condamnés par la misère. Dolorès m’a ouvert les yeux. Ces villages d’Indiens de l’Altiplano, je les garde dans ma mémoire, peuplés d’enfants qui ont faim. Cela est une de mes tempêtes, ce monde est plein d’enfants qui meurent et que l’on pourrait sauver. Je ne peux plus accepter ces injustices et je suis reconnaissant au père Cartillo de m’avoir désigné pour la Chine, la terre de l’extrême misère à ce que l’on me dit.
    Il y a aussi les autres morts, accidentelles. Et je vais maintenant te parler de l’autre enfant. Il est à l’origine de ma plus forte révolte contre l’ordre divin depuis que je vis. Mais j’ai prié et je sais que l’enfant est en paix dans la main du Seigneur.
    Je viens de m’interrompre à nouveau. J’avais aperçu dès le milieu de la matinée un simple ressaut sur la ligne imprécise de l’horizon. Quand je me suis réinstallé sur ce banc après le déjeuner, j’ai très nettement distingué la silhouette d’un navire, l’un de ces gros cargos à haute cheminée. J’ai eu un pressentiment et dès lors je n’ai plus pu t’écrire longtemps. Je suivais la dilatation des formes du navire, les mâts, la passerelle. Notre paquebot gagnait vite sur le cargo. Nous n’avons bientôt plus été séparés que par quelques centaines de mètres, trop encore pour que je puisse lire à la poupe puis à la proue, le nom du navire. Avais-je besoin de le déchiffrer alors que j’étais sûr qu’il s’agissait du Gulf Stream I  ? Je l’ai cependant vérifié en montant sur la passerelle en demandant au Second de me prêter ses jumelles. J’ai vu les hommes sur le pont du cargo. Nous avons quelques minutes navigué à la même hauteur puis nous avons dépassé le Gulf Stream I et si j’ai recommencé à t’écrire, c’est qu’il n’est déjà plus à nouveau qu’un ressaut à l’horizon et j’ai peine à croire que nous l’avons croisé.
    Maintenant je peux te parler de l’enfant. J’avais sur les quais rencontré deux gosses, deux frères. Ils m’avaient, dans leur course, bousculé, puis s’étaient enfuis. Je venais d’embarquer à bord du George Washington quand je les vis, près du navire. Une mouette a attiré mon regard. Quand j’ai cherché les deux enfants, l’un était mort, frappé par une charge qui se balançait au bout d’un filin. Je ne me suis pas soucié de l’heure de notre appareillage. Je voyais le plus jeune des deux frères, hagard, marqué pour toujours. Je suis descendu, je l’ai empoigné. C’était un enfant blond d’une grande beauté. Deux yeux d’un bleu presque vert dans une peau tannée, une grande douceur et en même temps une force que j’ai ressentie quand j’ai voulu le questionner. Il ne pleurait pas. J’ai réussi à le convaincre de m’indiquer un lieu où je pouvais le reconduire. Il m’a donné le nom d’une blanchisserie. Peu m’importait de manquer le départ du bateau. Sa mère travaillait là. Elle est venue. L’une de ces femmes que l’emploi le plus dur n’enlaidit pas. On oublie leurs mains et leurs vêtements pour ne voir que leur visage. Elle avait les yeux bleu-vert de son fils. Elle s’est pliée se tenant la gorge quand elle a appris la mort de son fils aîné. Elle a pleuré contre moi et je l’ai raccompagnée chez elle. Des voisines l’ont entourée. J’ai appris alors que son plus jeune fils, Allen Roy, avait cinq ans comme Dolorès et Serge et que son mari était marin à bord du Gulf Stream I.
    J’ai rejoint les quais au moment où le George Washington appareillait et je n’ai pu l’atteindre que grâce à la complaisance des autorités portuaires, qui ont mis à ma disposition un canot. Mais j’agissais sans penser, avec une indifférence pour ces péripéties dont aujourd’hui je m’étonne : qu’aurais-je fait pourtant si je n’avais pu partir avec le George Washington ?
    Mon état d’esprit, tu le devines. Je me sens placé au lieu de rencontre de plusieurs trajectoires, peut-être n’ayant vécu et ne devant vivre que pour les faire précisément se croiser. À moins que mon orgueil ne soit à l’origine de cette interprétation et que le hasard seul préside à toutes ces coïncidences. Mais ce mot de hasard je le rejette car où serait alors l’intervention de

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