Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
Menninger rencontrait avec son père au foyer de l’Opéra à Munich. Il imagina que l’homme partait en tournée. Après un instant d’hésitation, il inclina légèrement la tête :
    — Allemand, dit-il.
    Puis il regarda à nouveau le quai. Les cosaques s’éloignaient, leurs silhouettes enveloppées par la vapeur qui s’échappait de la locomotive. L’homme s’était penché aux côtés de Menninger qui s’écarta et rentra dans le compartiment.
    Peu après, le train s’ébranlait, la campagne recommencée, cette fusion de la terre et du ciel dans la monotone et monochrome imprécision de l’horizon. Heures, battement sourd, cadence, le thé que le serveur apportait avec cérémonie, Lodz sous le brouillard, des pauvres chargés de paquets qui couraient vers le train, leurs femmes enveloppées dans des chiffons, hommes aux vestes élimées, enfants la tête couverte de pièces de laine. Ils assaillaient les wagons de queue. Plus tard, la nuit venue, le contrôle minutieux des passeports, valises ouvertes par les douaniers austro-hongrois, dont la politesse raide, la minutie rigoureuse, marquaient pour Menninger l’entrée dans le monde germanique. Il se détendit. Les lumières tremblaient dans les rosaces du compartiment donnant une couleur rose, exténuée.
    — Vous permettez ? demanda Menninger.
    Il présentait au voyageur un étui à cigares. L’homme refusa mais fit un signe de tête. Menninger s’inclina.
    — Ludwig Menninger, dit-il, de Munich.
    Le voyageur sourit.
    — Vous n’êtes plus très loin. – Il s’interrompit longuement. – Je suis de Varsovie, reprit-il – il s’inclina à son tour – Samuel Berelovitz.
    Ils s’enfoncèrent dans le silence.
    Samuel Berelovitz ferma les yeux. Depuis le départ de Varsovie, il tentait vainement de dormir, changeant de position, regardant l’heure, mais le souvenir était oppressant. Sarah pleurait dans l’entrée de leur maison, Nathalia essayait de consoler sa fille, et Samuel répétait, cherchant à la convaincre. « Comprends, Sarah, je ne veux pas que vous m’accompagniez. » Il ne pouvait lui dire que les rues n’étaient jamais sûres, que des pillards brisaient les vitrines. Les hussards russes chargeaient. L’on avait trouvé trente-cinq corps abattus derrière la palissade d’un chantier ; ou bien les Noirs, ces criminels, ces fanatiques attaquaient les juifs au nom de la Russie et du Tsar ; ou bien les patriotes s’avançaient derrière les prêtres et chantaient La Pologne n’est pas encore perdue jusqu’à ce qu’un barrage de cosaques ne ferme la rue. La foule refluait. Certains commençaient à lancer des pierres, et parfois rue des Maréchaux éclatait au milieu des soldats une bombe qui déclenchait les fusillades. Mais Samuel se contentait de dire à sa fille : « Je ne veux pas, Sarah, tu restes ici avec maman et je reviens vite. » Il essaya de l’embrasser mais elle s’enfuit, trébuchant dans l’escalier, courant dans le couloir, puis ce fut le silence.
    — Sarah, appela Samuel.
    Elle avait dû s’enfermer dans sa chambre car elle ne répondit pas.
    — Va la voir, dit Nathalia. Je ne suis que sa mère, toi tu es comme un dieu.
    Samuel regarda l’heure.
    — Tu as le temps, répéta Nathalia, tu dois.
    Samuel monta rapidement les marches, s’essoufflant sous la lourde pelisse. Il s’appuya à la rampe pour reprendre sa respiration et il vit Sarah. Elle était immobile dans le couloir sombre, les jambes écartées. Elle avait relevé sa robe pour s’en cacher le visage, y enfouir son désespoir et elle apparaissait ainsi, jupon blanc, bottines noires, tête couverte de tissu violet. Tout laisser ; les rendez-vous de Londres et ceux de Shangai. Oublier la hausse des cours de la soie et du coton ; rester avec eux, Sarah, Nathalia, à Varsovie et bientôt quitter cette ville où l’on était deux fois sujets, russe et juif, à la merci toujours de la fantaisie des maîtres ; s’installer en Allemagne ou en Amérique, dire adieu au vieux Guinzburg, à la rue des Maréchaux et à la rue de Jérusalem. Guinzburg dirait : « Vous partez, Samuel Berelovitz, vous partez, je me souviens de l’oncle Elie, il y a cinq ans, quand votre petite Sarah est née, vous partez, que le Seigneur vous guide. » Samuel Berelovitz prit la décision, là, agenouillé devant sa fille dans le couloir, vivre dans une ville paisible, vivre hors de la crainte, pour Sarah.
    — Écoute Sarah, dit-il,

Weitere Kostenlose Bücher