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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Sarah, tu m’entends ?
    Elle reniflait, elle essuyait son visage avec sa robe, elle fit oui.
    — C’est la dernière fois que je pars sans toi, sans maman et toi. Je te le promets.
    — Tu le promets, dit Sarah très vite. Elle parlait sous sa robe, la voix étouffée.
    — Je le promets, Sarah, répéta Berelovitz.
    Elle abaissa sa robe, les yeux tout rouges d’avoir pleuré mais la bouche déjà souriait.
    — Tu n’auras plus de chagrin ? demanda Berelovitz.
    Sarah se laissa aller contre lui. Ses cheveux noirs frisés caressaient le menton et la joue de Samuel. Elle murmura plusieurs fois pour lui seul « papa papa papa ». Il la prit dans ses bras, descendit lentement l’escalier, Sarah n’ayant pas bougé.
    Depuis que le train s’était ébranlé, ce fut comme si elle était restée contre lui, pesant sur sa poitrine, lourde, si lourde qu’il avait du mal à respirer parfois. Il se levait alors pour faire quelques pas dans le couloir du wagon, veillant à ne pas déranger l’Allemand qui semblait dormir. Debout pourtant, Samuel Berelovitz respirait avec plus de difficulté encore. Il s’appuyait à la cloison du wagon, il lui semblait que Sarah, de toutes ses forces, pesait à la hauteur de sa gorge. Il toussa à plusieurs reprises. Il eut froid, mais ce n’était qu’un frisson à la surface de la peur, l’étrange sensation qu’une pellicule glacée se formait sous laquelle brûlait et battait un sang lourd, visqueux. Samuel pensa qu’il avait dû prendre froid, il était resté de longues minutes dans le hall de la gare, contrôlé par des policiers russes qui recherchaient des socialistes soupçonnés de vouloir quitter le pays. Dans la grande salle, Samuel s’en souvenait, il s’était mis à trembler, la fièvre sans doute, ces relents malsains des voyages en Chine. Le dernier surtout avec la guerre au nord entre Russes et Japonais, cette jubilation des Chinois devant les défaites des « blancs », les difficultés qu’il avait rencontrées à négocier ; les intermédiaires qui sans perdre leur apparente servilité multipliaient les obstacles, augmentaient leur pourcentage, les conseils qu’on lui donnait dans les ambassades européennes de ne pas s’aventurer à l’intérieur du pays, les sociétés secrètes tenant des villages, arrachant les rails des voies ferrées pour empêcher les « démons blancs » de souiller l’Empire céleste. La fatigue qu’il avait accumulée ainsi, des semaines durant, le plaisir aussi à prendre des risques, à défier le sort. Il avait comme à l’habitude remonté le Yang-Tsé-kiang, mais les interprètes se dérobaient et une nuit il s’était retrouvé seul dans un village non loin du fleuve, avec un sac de cuir, les malles volées, seul au milieu d’une place entourée de maisons de torchis.
    Il avait armé le pistolet à barillet qu’il portait sur lui, puis il s’était avancé vers la première maison, expliquant à l’aide de gestes qu’il voulait manger, être conduit vers le fleuve, et là, il trouverait bien un sampan pour Shanghai. Des gosses s’étaient rassemblés devant la porte cependant qu’une jeune paysanne lui présentait du riz teinté de sauce aigre. Samuel n’avait avec lui que des dollars or, pièces que l’on connaissait d’un bout à l’autre du monde. Mais pas dans ce village. La jeune fille s’inclinait, refusait, Samuel avait alors cherché dans son sac une écharpe de soie et en saluant cérémonieusement il l’avait remise au père. Les enfants silencieux observaient la scène. Ils étaient nu-pieds, le torse à peine couvert par un tricot déchiré, la peau noircie par le soleil et tendue par la faim, les yeux trop brillants. Samuel avait pensé à Sarah. Si peur pour elle, l’imaginant, elle ou ses enfants tels ceux-là qui l’observaient, leurs os prêts à percer leur peau, ces coudes, ces genoux aigus comme une douleur. L’un des enfants se tenait en avant des autres. Il avait la taille de Sarah, son âge peut-être, mais une expression si désespérée que Samuel eut mal, une déchirure dans le dos qui s’élargissait de la nuque aux reins, ouvrait sa poitrine. Il avait appelé l’enfant et le prenant contre lui comme il avait l’habitude de le faire avec Sarah, il avait commencé à lui caresser les cheveux. L’enfant restait raide, soumis, mais lointain. Samuel avait décroché la chaîne de sa montre de gilet, et se tournant, entraînant l’enfant dans son mouvement pour

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