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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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pères accumulaient depuis l’installation de la mission, chevaux bleus, bouddhas de jade.
    — Vous faisiez déjà cela, dit Giulio. Mais toi et moi, reprit-il après un silence, et cet homme que nous avons trouvé là-bas, au bout de la galerie, nous sommes – il mit ses mains à l’horizontale comme s’il s’agissait des plateaux d’une balance, il les fit osciller, la droite et la gauche à des hauteurs différentes, les aligna enfin tous sur la même ligne – tous égaux, frères.
    Lee Lou Ching secoua la tête.
    — Au village, dit-il, nous n’avions qu’un champ derrière la maison, près d’un étang. Mais d’autres possédaient la colline. Et les soldats, quand ils sont venus, étaient plus forts que tous.
    — Égaux, répéta Giulio.
    Il passa son bras sous celui de Lee, l’entraîna dans le jardin de la mission, le força à s’asseoir près de lui.
    — Si tu crois, dit-il, si tu pries, tu comprendras.
    Giulio, tout en parlant, dévisageait Lee Lou Ching. En ces cinq ans de séjour à la mission, Lee s’était transformé comme un arbre jeune qui s’épanouit. Les épaules s’étaient ouvertes, et cela donnait à la démarche de Lee, encore prudente, une autorité d’homme volontaire. L’acharnement que Lee mettait à apprendre, l’angoisse aussi qu’il avait de ne pas réussir ou de se dissoudre – nuage avait-il dit, et l’image plaisait à Giulio – étaient les signes d’une personnalité qui voulait s’affirmer, connaître l’autre sans se perdre dans le savoir étranger. Giulio devinait au centre de Lee une résistance opaque, qu’il ne percerait jamais et ne désirait pas voir s’affaiblir.
    — Même si un jour tu ne pries plus, reprit Giulio.
    Mais il eut honte de cette phrase et il se tut, baissant la tête, affrontant pour la première fois l’idée que Lee, dans quelques mois ou quelques années, pourrait refuser Dieu.
    — Dieu, murmura Giulio, a tant de visages, on le nie parfois, mais qui lui échappe ?
    Il se tut longuement, observant Lee à la dérobée, aimant le silence tendu du jeune homme puis Giulio ferma les yeux. La certitude qu’il allait pleurer, que l’émotion, qu’il ressentait était la preuve de l’ordre divin, de la fraternité douloureuse des hommes. Ils se cherchaient pareils à des aveugles qui tâtonnent. Ils désiraient si fort s’aimer, leur douleur de n’y point parvenir était si grande qu’ils devenaient cruels et sauvages. Giulio fut sûr que les mots ne pourraient jamais exprimer cette indissociable fusion de la vie et de la mort, de l’amour dans la haine. La musique seule. Sans bouger pour ne pas perdre le souvenir qui gisait au fond des heures de l’enfance, à Rome, Giulio recomposa les notes, le mouvement des violons, cet instant où Mozart les suspend pour laisser libre la gaieté fragile du piano.
    — Un jour, dit-il en se levant et il voulait ainsi essuyer discrètement ses yeux, plus tard, tu écouteras un musicien, l’enfant prodige. On le promena de palais en palais…
    Giulio se rassit près de Lee Lou Ching et cependant que, venant des quartiers chinois, retentissaient les sons aigus des cymbales, il parla de Mozart.
    Cette musique, Allen Roy Gallway aurait voulu la fuir. Il était au garde-à-vous dans l’entrée de l’ambassade des États-Unis à Buenos Aires et la musique venait des salons du premier étage. Le commandant du croiseur Oregon, à bord duquel Allen Roy était embarqué depuis cinq mois, leur avait dit en passant en revue le détachement qui l’accompagnait à l’ambassade :
    — Vous aurez à boire et un concerto de Mozart en plus.
    La chaloupe avait quitté l’ Oregon à la fin de l’après-midi quand rougeoient les eaux sombres du Rio de la Plata. Ils étaient douze marins, choisis par le commandant lui-même. « Je veux des hommes fiers », avait-il dit au maître fusilier, « désignez-en trente, je ferai le tri. » Coup de sifflet des sous-officiers, ordre crié dans le poste d’équipage. « Tenue n o  1, ceinturon, baïonnette, pas de fusil, rassemblement sur le gaillard d’avant. » Grincement des brodequins sur les échelles de fer. Allen Roy avait surgi sur le pont, l’un des derniers, ses guêtres mal lacées. Il s’était placé au deuxième rang, au milieu de la file avec déjà, bien qu’il ne se fût engagé que depuis huit mois, cette volonté de passer inaperçu. « Sois malin, lui avait dit un quartier-maître, prends la couleur de la coque, et

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