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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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sur le ventre, les mains écrasant ses seins, les jambes légèrement entrouvertes, elle frissonnait, surprise de cette émotion qui rendait la respiration haletante. Les hommes, quand elle s’approchait, la dévisageaient avec une insistance brutale, les femmes l’effleuraient du regard puis détournaient la tête pour l’ignorer. Maître Trevijano venait au-devant d’elle, la prenait par le poignet : « Dolorès, Dolorès, il faut que je vous présente…» Il se piquait au jeu, multipliait les réceptions, fier comme si elle avait été sa fille ou une très jeune maîtresse. Il riait quand il devinait un compliment appuyé, la jalousie d’une femme qui l’interrogeait :
    — Une Indienne, n’est-ce pas ?
    — Une très jolie jeune fille, ne trouvez-vous pas ?
    Dolorès se laissait guider. Elle avait craint ces soirées, refusé d’y paraître puis écoutant depuis sa chambre la rumeur des conversations, la voix d’un chanteur qu’accompagnait un bandonéon, elle s’était rapidement coiffée, impatiente tout à coup, aimant le frôlement de la soie sur sa peau, le crissement du tissu, le bruit des talons cependant qu’elle descendait l’escalier, et l’orgueil qu’elle éprouvait en entrant dans le salon, d’avoir vaincu sa peur, d’être au milieu d’eux et de sentir sur elle la jalousie et le désir.
    — Il faut que je vous présente, répétait Maître Trevijano.
    Il l’entraînait, les noms et les visages glissaient sans qu’elle les retienne, ils s’en allaient, mêlés, Don Lovedo… Carlos… Canta… femmes arrogantes ou fuyantes.
    — Mais dites-moi, Dolorès Bertolini, ce n’est pas espagnol ?
    Un soir un visage s’est fixé.
    Dolorès a perçu une voix, une silhouette qui se dessinait, légèrement voûtée, haute et mince, tempes et joues creusées, James Clerkwood expliquait Maître Trevijano, premier secrétaire de…
    Dolorès restait en face de lui, étonnée que tout à coup les autres s’estompent, et que Clerkwood fut le seul à demeurer, sa voix paraissant résonner au milieu du silence. Quand il s’éloigna, Dolorès à nouveau entendit et vit les invités.
    — Vous l’avez beaucoup impressionnée, chuchotait Maître Trevijano.
    Clerkwood revint. Elle ne traversait plus les salons. Elle demeurait assise près de lui sans le regarder, sensible seulement à sa voix, à sa présence qui créait autour d’elle ce vide bienfaisant. Les regardait-on ? Étaient-ils assis sur la terrasse, dans le parc ou dans l’un des salons ? Dolorès n’aurait pu le dire. Quand il s’inclinait devant elle pour la saluer avant de la quitter, elle eût voulu prendre son bras, partir avec lui. Un soir, comme il se taisait, qu’elle sentait son regard, elle dit :
    — Je suis indienne.
    Puis comme il ne bougeait pas, elle ajouta, plus haut :
    — Je veux être indienne. Ma mère l’était.
    — Maître Trevijano m’a raconté, dit James Clerkwood.
    Ils se turent longtemps.
    — Je suis catholique comme vous, reprit Clerkwood.
    Elle se tourna vers lui, devinant qu’il ne la regardait plus. Il était penché en avant, les bras posés sur les cuisses, le dos rond. Elle l’imagina vieux, plus maigre encore, plus recroquevillé. Elle rit.
    — Vous serez très vieux, dit-elle, je vous vois.
    Elle riait d’une manière si spontanée qu’il rit aussi.
    — Si vieux, dit-il.
    Dolorès secouait la tête. Était-il plus vieux qu’elle ? Elle ne s’était jamais interrogée.
    — J’ai dix-sept ans, dit-elle cessant brusquement de rire.
    — Je sais, dit Clerkwood.
    Il se leva. Elle voulait le retenir, le forcer à s’asseoir à nouveau, mais il paraissait si grave.
    — Si vous acceptiez, commença Clerkwood.
    Il toussota, sourit.
    — Maître Trevijano, je préfère, vous expliquera.
    Pour que les fiançailles fussent officielles, il fallut obtenir l’accord de l’ambassade d’Italie. Giulio Bertolini avait délégué ses pouvoirs de tuteur officiel à Maître Trevijano, mais il eût fallu néanmoins le consulter. Espérer en cette année 1917 une rapide réponse de Chine était illusoire. L’ambassadeur prit sur lui d’autoriser les fiançailles et le mariage, prévu pour les premiers mois de 1918. Des problèmes d’héritage et de dot, difficiles à éclaircir, restaient à régler. Mais comme l’expliquait Maître Trevijano à James Clerkwood : « Nous sommes, n’est-ce pas ? du même monde, tout est donc plus simple. »
    Dolorès fut ainsi

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