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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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perdue, tendresse absente.
    Dolorès, silencieusement, recommença à pleurer.
    Des mois plus tard, Dolorès reconstitua, alors qu’elle était déjà élève au collège de l’Assumption, à Buenos Aires, dans le quartier résidentiel où les palazzi à l’italienne sont séparés les uns des autres par de vastes parcs où nichent des milliers d’oiseaux, ce temps du vagabondage à La Paz avant que Maître Trevijano ne la retrouve.
    Elle avait appris à tresser, à affronter les chiens à demi sauvages qui errent dans les rues des quartiers hauts. Elle courait pieds nus, criant les mots rauques de la langue quetcha. Parfois, se laissant emporter par la pente des rues, elle se trouvait face à un mur qu’elle croyait reconnaître. Elle respirait les odeurs de bougainvillier et de magnolia, écoutait le roucoulement des pigeons sur les toits 1 de tuile. Elle s’enfuyait, se retournant comme si du couvent allait surgir Madre Blanca qui d’un regard avait pouvoir de l’immobiliser. Mais la peur est un plaisir. Dolorès rechercha les itinéraires qui la conduisaient dans le quartier du couvent. Elle y revint, s’approchant chaque fois davantage des bâtiments, comme si le silence qui les entourait était un appât. À la fin elle fut prise sans qu’elle cherchât à s’enfuir, comme si le temps était enfin venu. Une sœur la présenta à Madre Blanca.
    — Te voilà, dit celle-ci avec indifférence.
    Elle regarda longuement Dolorès.
    — Qu’elle se nettoie.
    La pièce où Dolorès se lava était remplie d’une buée odorante. Une sœur, une femme lourde aux doigts potelés, pieds nus, les manches relevées, lui frotta le dos, la nuque, les épaules, lui frictionna la tête. Le savon glissait. Dolorès tenait sa poitrine entre ses mains. Elle aimait cette chaleur, cette démangeaison sur sa peau, la voix de la sœur : « Tu es une sale petite cochonne, je vais t’enlever la peau, murmurait-elle. Tu ne t’es plus lavée, n’est-ce pas ? »
    Dolorès riait. Elle était bien. On la raccompagna. Sur son lit étaient posés une blouse blanche, une jupe noire plissée et des bottines. Elle s’habillait en chantonnant quand Madre Blanca entra.
    — Tu n’as aucun remords, je l’entends.
    Madre Blanca se tenait dans l’entrée de la petite chambre. Elle semblait n’avoir aucune colère. Son visage était paisible, sa voix calme.
    — Tu vas partir, dit-elle.
    Dolorès continuait de s’habiller, soulevant ses cheveux pour qu’ils retombent sur la blouse, dans le dos.
    — Maître Trevijano va venir te chercher. À lui de te garder. Nous ne retenons personne. Chacun choisit. Dieu fait les comptes.
    La voix s’était durcie. Un instant Dolorès eut peur que Madre Blanca ne s’avance, lui saisisse le poignet, frappe. Elle la regarda d’un air de défi.
    — On ne peut pas le tromper, dit encore la Supérieure. Tu t’en apercevras.
    Dolorès s’assit sur le lit, commença à lacer ses bottines, ignorant Madre Blanca qui paraissait hésiter.
    — Tu sais que ta mère est morte le jour de ta naissance.
    Dolorès ne l’interrompit pas. Elle tira si fort que l’un des lacets se rompit.
    — À toi de choisir, dit la Supérieure avant de sortir.
    Dolorès, quand Madre Blanca eut fermé la porte, se laissa tomber et couchée sur le dos regarda le plafond blanc, les mouches qui y couraient. Elle souhaita qu’il s’écrasât sur elle, ensevelissant le monde. Puis comme on l’appelait du couloir, elle se redressa, secoua la tête, ses cheveux lui couvrant le visage. Elle les tira en arrière, les noua. Le front dégagé, elle se sentit neuve, lisse. Elle cracha par terre.
    — Meurs, dit-elle.
    Dolorès vécut quelques mois à La Paz dans la grande maison de Maître Trevijano. Dès la première journée, elle découvrit le balcon, la place de la cathédrale qu’il surplombait. Sur le parvis, elle aperçut le mendiant infirme, les deux bras atrophiés qu’il tenait à l’horizontale, le vendeur de colifichets et d’amulettes qui portait agrafés à son poncho des rubans de couleur. Des femmes assises sur les marches, des enfants entre leurs cuisses, tendaient la main. Dolorès prit l’habitude de s’installer sur ce balcon, les jambes allongées, le dos appuyé à la rambarde de fer forgé. Elle ne rentrait qu’au moment des repas quand la servante indienne poussait les volets, la fixait sans un mot, comme si elle lui reprochait de n’être pas elle aussi une domestique.
    Dolorès

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