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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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fiancée. Elle aimait que Clerkwood appartint à un pays qu’elle ignorait, qu’il fût plus âgé qu’elle d’une quinzaine, d’années. Il était sa fuite. Elle avait hâte qu’il l’entraîne loin de ce continent où les Indiens demeuraient des mendiants et des domestiques ou des ombres qu’on essayait de saisir dans la forêt.
    Quand le croiseur Oregon jeta l’ancre dans le Rio de la Plata, elle fut invitée à la réception que donnait l’ambassadeur des États-Unis. Soirée orageuse, brumeuse comme il en est souvent en décembre. Dans le hall de l’ambassade, des marins de l’ Oregon formaient une double haie. Maître Trevijano serrait le bras de Dolorès, chuchotait : « L’ambassadeur, vous le savez Dolorès, a soutenu James en tout, il l’adore. »
    Au moment où l’ambassadeur les accueillait, la présentait au commandant de l’ Oregon, Dolorès vit James Clerkwood au haut de l’escalier. Elle entendit, mêlé au bruit des voix, le son aigu et bref des violons que les musiciens accordaient.
    Sarah Berelovitz n’avait pas encore rejoint les musiciens. Elle était debout près de sa mère, dans l’encoignure d’une fenêtre de la Bibliothèque Polonaise de Paris, quai d’Orléans, dans l’île Saint-Louis. Elle tenait sa mère par la taille, la forçait à tourner le dos au hall éclairé par de grands lustres de cristal, à regarder au travers des volets entrouverts, le quai, le pont de la Tournelle, et cette vallée obscure où coulait la Seine qu’une voiture parfois, roulant sur la rive gauche, éclairait d’un bref reflet bleu. « Ne pleure pas, disait Sarah, pas ce soir maman, je t’en prie. » Elle s’écartait, entendait les musiciens qui accordaient leurs violons. Elle les imaginait inquiets de ne pas la voir, l’un d’eux descendait de l’estrade qu’on avait aménagée au fond de la grande bibliothèque du premier étage, la cherchait parmi les invités. Bientôt, il allait la retrouver ici.
    — Il faut que je monte, maman, dit Sarah. Essuie-toi les yeux je t’en prie, souris.
    Elle embrassait sa mère, lui caressait les joues, l’entraînait.
    — Viens maintenant, disait-elle. Tu sais que si tu es triste, je joue très mal. Pour moi, petite maman, pour moi.
    Nathalia Berelovitz se moucha, essaya de sourire à sa fille, s’appuya à son bras. Elles montèrent lentement l’escalier, se frayant un passage parmi les nombreux invités qui n’avaient pu trouver place dans la salle où allait avoir lieu le concert. Certains étaient assis sur les marches, d’autres appuyés au mur ou à la rampe, opposaient à Sarah une résistance silencieuse, ignorant son murmure. « Vous permettez », répétait-elle. Il lui fallait dire pour qu’ils s’écartent : « Je suis la pianiste, je suis en retard. » Ils s’excusaient alors, se déplaçaient mais d’autres n’avaient pas entendu. Sarah se mit à transpirer, s’arrêtant un instant pour attendre que sa mère dont elle serrait la main la rejoignît. Elle la vit, le visage empourpré sous les cheveux grisonnants, au bord des larmes encore, elle eut une bouffée de colère, la tentation de lâcher la main, de franchir, sans même s’excuser, les dernières marches en bousculant ceux qui la gênaient. Elle dit au contraire : « Je t’attends maman, je t’attends. » Et de renoncer ainsi à suivre son désir la désespéra, comme si toute sa vie était déjà tracée.
    — J’étouffe, murmura Nathalia Berelovitz, tous ces gens, si le feu prenait.
    Qu’il nous dévore, pensa Sarah, mais elle dit :
    — Il n’y a aucun risque maman, je t’assure.
    Elle recommença à monter mais maintenant elle était entrée dans l’un de ses cauchemars familiers, l’un de ceux qui la réveillaient au milieu de la nuit depuis, qu’après la mort de Samuel Berelovitz, Sarah et sa mère avaient quitté Varsovie pour s’installer à Paris. L’oncle Elie avait séjourné quelque temps avec elles, organisant leur vie, achetant l’appartement de la rue d’Assas, à quelques centaines de mètres du Jardin du Luxembourg. Il les avait introduites dans le milieu des juifs polonais de Paris, et deux d’entre eux – Joseph Lazievitch, un chirurgien de renommée internationale, et le peintre Mietek Graevski qui possédait un atelier rue Boissonade – étaient devenus leurs amis. Souvent, ils leur rendaient visite rue d’Assas, Mietek surtout, qui, Sarah l’avait compris beaucoup plus tard, faisait à Nathalia

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