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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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pas possible, les deux assemblées élisant le président sur une liste de candidats choisis dans leur sein. Comment un Bourbon s’y introduirait-il ?
    — Eh ! s’exclama Thibaudeau, nous avons bien eu parmi nous un Orléans ! »
    Ce coup-là visait Daunou, assez favorable à une monarchie constitutionnelle avec la branche cadette. Louvet, Creuzé-Latouche – un autre ancien ami des Roland, père adoptif de leur fille Eudora, fidèle lui aussi à leur idéal républicain –, le démocrate Berlier, La Révellière-Lépeaux, Baudin des Ardennes tenaient pour un exécutif à plusieurs têtes. Les uns voyaient deux ou trois consuls, les autres de simples directeurs : trois ou cinq. On débattit durant plusieurs séances. À la fin, Daunou ayant sagement abandonné sa chimère, le principe d’une direction collégiale l’emporta sur la présidence par sept opinions contre quatre. Claude et Rœderer non compris, puisqu’ils n’étaient là qu’à titre consultatif. La minorité s’inclina et collabora de son mieux à organiser l’exécutif au moyen de directeurs.
    Cela n’importait guère à Claude. Il voulait essayer – au moins essayer – de remettre en question le fondement de l’édifice bourgeois déjà élevé par la commission. Mais lorsqu’il parla de l’égalité détruite par la distinction entre citoyens actifs et citoyens passifs, tout le monde se récria. La Révellière lui dit : « Laisse là tes idées sans-culottes, nul n’en veut plus. » Et Boissy d’Anglas : « L’égalité, c’est l’anarchie, nous l’avons trop vu. Nous devons être gouvernés par les meilleurs. Les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois. À bien peu d’exceptions près, de pareils hommes se trouvent uniquement parmi les propriétaires. Ils sont attachés au pays qui contient leur propriété, aux lois qui la protègent, à la tranquillité qui la conserve ; et ils doivent à cette propriété, et à l’aisance qu’elle donne, l’éducation qui les a rendus propres à discuter avec sagacité et justesse les avantages et les inconvénients des lois. Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social, celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature.
    — Mais, objecta Claude, je ne suis pas propriétaire. Louvet, es-tu propriétaire ?
    — Ma foi, non.
    — Ne jouons pas sur les mots, dit impatiemment Lanjuinais. Vous êtes tous deux des citoyens actifs, comme les propriétaires, et parce que vos parents l’étaient vous avez reçu l’instruction qui vous rend propres à gouverner. Ne perdons pas notre temps à revenir sur des choses acquises.
    — Au moins, demanda Claude, rendez la propriété accessible au plus grand nombre, et l’instruction aussi.
    — Nous n’y manquerons pas, sois tranquille, assura Berlier. Je n’y tiens pas moins que toi. »
    En quittant la commission, Claude monta voir Bernard à l’étage au-dessus. Le royaliste Aubry ne dirigeait plus le Comité militaire. Il avait dû en sortir au renouvellement trimestriel. Pontécoulant, officier d’Ancien Régime lui aussi, mais loyal, lui succédait. Bernard, placé à la tête du bureau topographique, y préparait activement une offensive sur le Rhin où Aubry tenait immobiles Pichegru et Jourdan d’une manière qui frisait la trahison. Le plan proposé par Bernard – familier de ce théâtre d’opérations où il avait mis Wurmser en échec et battu complètement le prussien Moellendorf – consistait à faire franchir le fleuve par les deux armées à la fois, l’une au nord-ouest de Mayence, l’autre au sud-est, pour diviser la résistance. Jourdan passerait le Rhin à Eichelcamp, Düsseldorf et Neuwied. Par une marche hardie entre la ligne de neutralité prussienne et le fleuve, il gagnerait la vallée du Main. Pendant ce temps, Pichegru, au sud-est, enlèverait Mannheim, rejoindrait Jourdan entre le Main et le Neckar. Ils pousseraient en avant toutes leurs forces réunies, de façon à séparer les deux armées impériales commandées par Clerfayt et par le vieux Wurmser. Puis, par une conversion de front, chacun ferait face à son adversaire et l’enfoncerait, Jourdan et Pichegru se renforçant l’un l’autre, ce qui serait interdit aux deux généraux autrichiens. Le plan était audacieux, mais, soutenu par Pontécoulant, il avait plu au Comité de Salut public.
    Au bureau topographique, on s’occupait de fournir à

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