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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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ne pleuvait plus. C’en était fini des transperçantes ondées, mais le ciel restait bas, et parfois, quand un nuage s’écorchait aux toitures, on sentait sur le visage le chatouillement d’une bruine. Dans Paris sombre et luisant, les troupes attendaient en abritant leurs armes, en changeant à intervalles le pulvérin des amorces.
    Buonaparte s’impatientait. Pour éviter l’investissement qui les menaçait, les forces républicaines auraient dû attaquer, jeter le désordre parmi les sectionnaires, les pousser loin du réduit. Barras cependant avait donné à tous les généraux l’ordre formel de ne prendre l’initiative en aucun cas, et Napoléon concevait parfaitement cette nécessité. Il fallait laisser aux monarchiens, déjà coupables de révolte, la responsabilité du fratricide. À eux de faire couler les premiers le sang français. La section Poissonnière arrêta des chevaux destinés à l’attelage d’une pièce de 12. La section du Mont-Blanc occupa la Trésorerie nationale, rue Vivienne. On ne bougea point. On ne bougea même pas lorsqu’une estafette, un hussard, fut abattu d’un coup de pistolet dans la rue de la Convention.
    Vers midi, Gabrielle Dubon et Claudine, à l’affût derrière leurs fenêtres, virent des compagnies arrivant par la rue de Thionville et d’autres par celle de la Monnaie s’engager sur le Pont-Neuf, et crurent avec effroi que le combat allait commencer. Devant la maison, les canonniers soufflaient sur leurs mèches. Mais Carteaux, observant l’ordre de Barras, ne commanda pas le feu. Les rebelles ne menaçaient point. Agitant leurs chapeaux au bout des baïonnettes, ils criaient : « Vive la ligne ! Avec nous les glorieux défenseurs de la patrie ! » Ils voulaient fraterniser, ils le proclamaient très haut.
    C’était une tactique inspirée au comité insurrectionnel par Richer-Sérizy. On ne devait pas trop compter sur les boutiquiers pour se battre, il le savait bien ; aussi espérait-il refaire le coup qui avait si bien réussi, en prairial, aux sections cossues : neutraliser l’adversaire par des embrassades, le diviser en petits groupes, le noyer, rendre inutiles ses canons.
    Carteaux comprit le danger. Se voyant au point d’être submergé par ces ennemis trop cordiaux, il prit le parti de se replier sur le réduit. Il se retira vers le Louvre. Les républicains venaient de perdre ainsi une position importante. Les insurgés ne se contentèrent pas de cet avantage. Ils suivirent Carteaux et s’installèrent dans le jardin de l’Infante.
    De l’autre côté, même manœuvre. Avec les protestations les plus amicales, des gardes nationaux, rassemblés en force au théâtre de la République, se répandaient dans la rue Honoré, envahissaient l’église Saint-Roch, l’hôtel de Noailles où Lacretelle jeune les avait conduits et d’où ils dominaient la carrière du Manège, les jardins des Feuillants. Ils envoyaient des femmes aux sentinelles républicaines, s’avançaient sans armes, le chapeau en l’air, pour fraterniser. Ils entraînaient les soldats chez Vénua et autres moindres traiteurs, offraient à boire, à manger. On se serait cru au soir du 2 prairial.
    Barras sentait tout le péril de la situation, sans avoir nul moyen d’y remédier. Les deux Comités, la Convention étaient très divisés. D’aucuns voulaient que l’on reçût dans l’Assemblée les sectionnaires en révolte, comme on avait admis – et endormi par de belles paroles – ceux des faubourgs, le 2 Prairial. D’autres proposaient de se retirer à Saint-Cloud, de s’y retrancher au camp de César pour attendre les renforts du général Landremont ; on reviendrait alors avec des forces si supérieures qu’elles imposeraient aux rebelles respect et obéissance. D’autres encore préféraient envoyer tout bonnement aux différentes sections des orateurs qui les feraient « rentrer dans le devoir par la voix de la raison ».
    Jamais Claude, assis maintenant en simple auditeur au premier rang des banquettes bleues, n’avait eu autant conscience de l’incapacité des assemblées délibérantes dans un cas pressant. Les délires du 31mai, du 2Juin recommençaient. Ah ! si le Comité de l’an II eût procédé de la sorte, comment eussent-elles été prises, les décisions instantanées qui avaient sauvé la France ? On reprochait à ce petit groupe sa tyrannie, son arbitraire. Présentement, on aurait eu bien besoin d’un arbitraire

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