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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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dans la majorité des départements, la petite bourgeoisie, les paysans, tous les acquéreurs de biens nationaux, lui demeuraient fidèles comme le montraient les votes des assemblées primaires. En défendant la Convention, on prenait le parti de cette masse, attachée aux nouveaux principes et dont on pouvait beaucoup attendre, alors qu’il n’y avait rien à espérer des royalistes, brouillons, frivoles, divisés, en minorité, au fond.
    Sa résolution bien pesée, obéissant tout ensemble à la réflexion et à l’instinct, Napoléon sortit vivement, courut À l’Enseigne de la Liberté, son nouvel hôtel, rue des Fossés-Montmartre, revêtir l’uniforme, car il était en civil pour aller au théâtre. Avec Junot, il revint aux Tuileries.
    Les généraux mis à pied par Aubry affluaient dans l’antisalle du Comité de Salut public – cette pièce blanc sale, au plafond peint, où, un an et quelques décades plus tôt, par une semblable nuit de trouble, Robespierre saignait en silence. Barras leur distribuait les commandements. Il avait nommé Brune chef d’état-major. Il accueillit Buonaparte par des reproches. « Où étais-tu ? Qu’attendais-tu donc ? » Mais le temps pressait, on n’en avait point à perdre en querelles. Il importait d’abord de connaître les ressources dont on disposait.
    Le commandant en chef et son second allèrent questionner Menou, prisonnier dans un des cabinets donnant sur la cour. Il était alors plus de minuit. La pluie frappait les vitres. On entendait les voix de députés qui soupaient tardivement dans le cabinet voisin. Menou faisait avec indifférence le tableau de ses incuries. Il n’avait absolument rien entrepris pour organiser la défense, se bornant à concentrer les troupes en ville. Elles comptaient environ cinq mille hommes de toutes armes. Cent cinquante restaient aux Sablons. Ils veillaient sur les pièces de 8 et de 12 remises, en prairial, par les sections à la Convention nationale. Deux cents hommes cantonnaient à Marly avec l’artillerie divisionnaire. Les munitions étaient au dépôt de Meudon, sans protection particulière. On disposait, à Paris même, de quatre-vingt mille cartouches, au plus, des deux pièces de 8 amenées des Sablons le 11, de quelques pièces de 4 sans approvisionnements ni canonniers ; le tout aux Feuillants et dans l’ancienne carrière du Manège, avec l’infanterie et la cavalerie revenues de la rue Vivienne. Aucune réserve de vivres.
    Il résultait de tout cela que les insurgés pouvaient sans peine bloquer dans les Tuileries la Convention et les forces républicaines, les affamer, les contraindre à une capitulation, si l’on n’agissait pas rapidement.
    « Il faut avant tout, décida Barras avec bon sens, mettre la main sur l’artillerie. Occupe-toi de ça ; moi, je vais soutenir le courage de l’Assemblée. »
    À travers le jardin sombre dont les arbres dégouttaient, Buonaparte et Junot gagnèrent en hâte le quartier général établi par Brune dans les bâtiments des Feuillants, où se trouvaient autrefois les bureaux de la Convention quand elle siégeait encore au Manège. Brune, qui avait maintenant trente-deux ans, fut un peu surpris de voir ce jeune général inconnu, brigadier comme lui, intervenir au nom de Barras ; cependant ce maigrichon aux lèvres minces, au masque dur, accentué par la lueur des chandelles, ne semblait guère de ceux avec lesquels on discute. Étudiant du regard les officiers en groupe qui entouraient Brune, dans l’ancienne salle de correspondance de l’ex-club des Feuillants, il fit signe à un chef d’escadron, un magnifique soldat admirablement proportionné, la poitrine bombant l’habit vert à brandebourgs jaunes, le casque à chenille coiffant une chevelure noire et drue. C’était ce Joachim Murat qui, avant le 10Août, cavalier de la garde constitutionnelle, dénonçait à Bazire les menées de la Cour. Devenu lieutenant dans l’armée du Nord, puis chef d’escadron au 21 e  chasseurs, enfin privé d’emploi et emprisonné quelque temps à la suite de démêlés avec son colonel, il avait à vingt-huit ans reconquis son grade en réunissant, le 1 er  Prairial, pour défendre la Convention, un groupe de volontaires.
    « Combien as-tu d’hommes, citoyen ? demanda Napoléon.
    — Trois cents, général.
    — Bien montés ?
    — Ma foi, oui », répondit Murat avec l’accent de son Lot natal.
    Buonaparte dicta un ordre à Junot et, le remettant

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