Les hommes perdus
à l’athlétique chef d’escadron, lui dit de partir dans l’instant. Il ramènerait avec les canons la petite troupe qui les gardait.
« Si des sectionnaires veulent s’y opposer, passe-leur sur le ventre.
— Bien, général. »
À deux heures, sous la pluie intermittente, Murat et ses trois cents chasseurs arrivaient aux Sablons où ils rencontrèrent une colonne rebelle venant elle aussi pour s’emparer des pièces. Sans aucun moyen de se retrancher, inhabiles à se former en carré contre la cavalerie, les gardes nationaux eussent été massacrés, d’autant plus qu’il fallait combattre à l’arme blanche, l’humidité détrempant la poudre dans les bassinets. Aussi, la colonne se retira sans résistance.
Vers six heures du matin, ce 13 vendémiaire, les trente-huit canons et les cent cinquante fusiliers s’alignaient au portail monumental des Feuillants, dans la rue Honoré, face à la place des Piques (ou Vendôme). Napoléon distribua cette artillerie aux différents postes. Barras et lui avaient dans la nuit pris leurs dispositions pour appeler en ville les deux cents hommes et la batterie divisionnaire restés à Marly, pour mettre à Meudon une garnison prélevée sur la légion de police versaillaise et faire apporter du dépôt les munitions nécessaires, pour réunir aux Feuillants une importante réserve de vivres, pour trouver parmi les « patriotes de 89 » des canonniers qui serviraient les pièces de 4, enfin pour occuper les barrières de façon à garantir les communications avec la banlieue et à couper celles des insurgés, à leur interdire de recevoir aucun secours extérieur.
La rébellion aussi s’organisait. Les chefs militaires ne manquaient plus au comité insurrectionnel installé dans le couvent des Filles-Saint-Thomas. Il en devait deux à l’agence Brottier : un vendéen, le comte Colbert de Maulevrier, un émigré, le jeune Lafond-Soulé ; et à Aubry un général en chef : Danican, ce gendarme qui, dans la nuit du 13 au 14 juillet 89, forçait avec Camille Desmoulins les boutiques d’arquebusiers pour armer les patriotes. Depuis, officier à l’armée de l’Ouest, secrètement vendu aux royalistes il avait su, même aux yeux de Hoche, couvrir d’un voile ses trahisons. Il rejetait à présent ce voile en se plaçant à la tête de l’armée rebelle.
C’était un écervelé, sans caractère ni talent. Nommé dès minuit, au lieu de barricader aussitôt les débouchés des Tuileries – palais, jardin, dépendances – pour enfermer dans ce rectangle les conventionnels et leurs défenseurs sans munitions suffisantes, sans subsistances, de les investir avec ses troupes au moins cinq fois supérieures, et les obliger ainsi, inévitablement, à capituler, il les laissait libres de leurs mouvements, de s’approvisionner, d’installer des avant-postes. Pendant ce temps, il combinait avec ses adjoints un plan d’opérations pour enlever la Convention de vive force.
À vrai dire, étant donné l’énorme avantage numérique, un assaut convergeant semblait offrir toutes les promesses de succès. Le plan se résumait à ceci : Danican conduirait en masses les sections de la rive droite par toutes les ruelles transversales aboutissant de la rue Honoré aux Tuileries, tandis que les bataillons de la rive gauche, sous les ordres de Lafond-Soulé et de Maulevrier, attaqueraient en passant les ponts. La petite armée conventionnelle, ainsi prise entre deux feux, serait écrasée sous le nombre.
C’est bien ce que Napoléon redoutait. Néanmoins il approuvait Barras de vouloir rester, comme il disait, « à cheval sur la Seine », dans une position où l’on pourrait, avec de la chance et en utilisant au mieux l’artillerie, accabler les monarchiens séparément sans leur laisser la faculté de se réunir. De six heures à neuf heures, par cette matinée aigre et maussade, les deux commandants, accompagnés de leurs aides de camp – Victor Grand, Porcelet pour l’un, Junot, Marmont pour le second –, achevèrent de placer leurs troupes.
À ce moment la défense, avec les patriotes, la légion de police, la gendarmerie des tribunaux désarmée en prairial et réarmée pour la circonstance, quelques invalides en état de faire le coup de feu, les troupes régulières, les gardes nationaux des sections Montreuil et Popincourt qui, exhortées par Fréron, avaient fini par se décider à soutenir le gouvernement, disposait au total d’environ neuf
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