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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Louis XVIII se révélait le mieux placé pour défendre les conquêtes légitimes de la Révolution. Et, ma foi, comme le remarquait Gay-Vernon, son avènement ne risquait pas d’amoindrir la liberté, inexistante sous l’Empire.
    Chez lui, Claude rassura Lise, se gardant de lui dire qu’il était volontaire pour les avant-postes. Les soldats-citoyens se bornaient, lui affirma-t-il, à maintenir l’ordre aux barrières et en ville. Chose vraie pour la plupart des légions bourgeoises. Elles n’éprouvaient aucune envie de s’opposer aux envahisseurs bienvenus. Dans le faubourg Saint-Germain, on attendait avec impatience « nos bons amis les ennemis ». On se communiquait un pamphlet intitulé Testament de Buonaparte. Thérèse en avait pris copie, elle la lut à Claude pendant qu’il dînait :
    Je lègue aux Enfers mon génie,
    Mes exploits aux aventuriers,
    À mes adhérents l’infamie,
    Le grand-livre à mes créanciers,
    Aux Français l’horreur de mes crimes,
    Mon exemple à tous les tyrans,
    La France à son roi légitime
    Et l’hôpital à mes parents.
    La restauration des Bourbons convenait fort à Thérèse, si royaliste autrefois ; mais ce qu’elle et Lise voyaient surtout dans cette éventualité, c’était, avec la paix prochaine, le retour d’Antoine, dont on restait sans nouvelles depuis un mois.
    Une fois nourri, Claude se coucha, car il avait besoin de repos. Il ne put cependant dormir, trop d’inquiétudes le travaillaient. Au surplus, il jugeait ridicule de vouloir combattre. Les coalisés n’étaient plus, comme en 93, des despotes menaçant l’indépendance française, mais des chefs d’État exaspérés par une tyrannie aussi odieuse à la France qu’à eux-mêmes. Ils marchaient sur Paris pour la détruire, et, hormis les bonapartistes obstinément attachés à leur maître – et à leurs charges, leurs dotations, leurs privilèges –, chacun souhaitait qu’elle fût détruite. Bernard lui-même n’avait-il pas appelé de ses vœux les désastres capables d’anéantir la puissance napoléonienne ! Pourquoi résister à une invasion humiliante mais nécessaire ? Il eût été plus logique de la favoriser. Seulement, contre toute raison, un instinct impérieux obligeait à se battre parce que des étrangers en armes foulaient le sol de la patrie. À cinq heures, l’estomac lourd d’une mauvaise digestion, il partit rejoindre dans la rue Cerutti les volontaires de la 2 e  légion. Le comte de Laborde, chef du 3 e  bataillon, les commandait. Ils s’étaient accrus de deux cents ouvriers, sans uniforme, portant au bras et au chapeau un large ruban tricolore, armés avec des fusils d’ordonnance. On gagna la barrière de la Villette. Le canon se taisait.
    Les volontaires furent disposés entre le canal de l’Ourcq et Belleville, par sections de cinquante, en soutien d’artillerie. D’autres gardes nationaux et d’autres batteries continuaient le front du côté de Ménilmontant. Le soin de tenir, en avant, Romainville et Pantin semblait avoir été laissé aux troupes de ligne. Mais pourquoi en voyait-on par-delà le canal défiler, poudreuses et harassées, dans la plaine, en direction de Saint-Denis ? Les deux corps d’armée s’étaient, racontait-on, séparés à Bobigny, Mortier se portant au nord, Marmont marchant par Noisy-le-Sec pour couvrir l’est ; le duc de Raguse en personne se trouvait présentement sur la Butte-Chaumont d’où il étudiait les possibilités de défense. Fort bien, seulement ces troupes si peu nombreuses resteraient-elles suffisamment en liaison sur leurs arrières pour ne point offrir une ouverture à l’ennemi ? Cela paraissait douteux. Et, en effet, au coucher du soleil les derniers habitants demeurés à Romainville accoururent, fuyant, dirent-ils, les Cosaques suivis par des colonnes d’infanterie qui avançaient sur le village sans avoir eu à tirer un seul coup de fusil. Il allait falloir reprendre cette position bêtement abandonnée. Mais le maréchal Moncey, présent à Belleville, n’en donna point l’ordre. Sans doute ne voulait-il pas engager ses gardes nationaux tant que les lignards, encore en pleine manœuvre, ne seraient pas prêts à soutenir ces guerriers d’occasion.
    La nuit close, les feux des bivouacs ennemis couvrirent de leurs scintillations tout le nord-est. Les plus proches brûlaient en deçà de Romainville, dans le bois, à quelques toises des lignes parisiennes. De son poste en grand-garde,

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