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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Claude apercevait par moments, comme une étincelle blanche, la baïonnette du veilleur adverse allant et venant. Plus loin, à travers les feuillages encore jeunes on distinguait une maison aux fenêtres illuminées, occupée probablement par quelque état-major. La lune éclairait à plein. Tout était très calme. Non, voilà qu’un bruit approchait. Claude allait armer son fusil et crier « Qui vive ! » quand un chien sortit du taillis, tenant un os enlevé à quelque marmite autrichienne ou russe. Il le déposa dans le chemin et se mit à le ronger.
    À minuit, des patrouilles relevèrent les sentinelles. Avec les autres, Claude rejoignit la section en haut d’un pré bossu. Les rentrants se roulaient dans leur couverture et s’allongeaient à même le sol, autour des armes en faisceaux. Rude couche pour un quinquagénaire. Aucun des volontaires n’était jeune, mais Claude l’emportait de cinq ou six ans sur les plus âgés. Cela compte. Il s’écarta un peu pour chercher l’abri d’une murette contre laquelle il s’adossa en se faisant un coussin de son bonnet à poil, après s’être coiffé de son mouchoir noué aux quatre coins. Lorsque les cheveux s’éclaircissent, on craint le serein. D’abord, il somnola, mal à l’aise ; puis, la fatigue l’emportant sur l’inconfort, il finit par perdre totalement conscience.
    Quand il s’éveilla, l’aube naissait. Il eut bien de la peine à se lever, le cou rompu, les reins brisés, bras et jambes raides ; et il ne comprit pas pourquoi des voltigeurs en capote beige, au shako de toile cirée, couraient partout, riant et se claquant les cuisses. « Voyez-moi ces péquins déguisés ! s’exclamaient-ils. Sauvez-vous vite, grands-pères ! La danse va commencer. Ici, c’est la place des vrais soldats. » On ne voyait, en effet, à droite, à gauche, que des lignards : « Marie-Louise » ou grognards à moustaches. Les gardes nationaux étaient partis, vraisemblablement pour d’autres postes, et l’on avait tout simplement oublié la section en flèche devant le bois de Romainville. Le lieutenant qui la commandait parlait à deux officiers de chasseurs. « C’est bon, dit l’un d’eux – un capitaine –, si vous voulez vous battre vous le pourrez ici aussi bien qu’ailleurs. Marchez avec ma compagnie, je vous approvisionnerai.
    — Il me faut d’abord ramener mes sentinelles. »
    Elles rejoignirent, déjà dépassées par une ligne onduleuse de tirailleurs qui, dans la grisaille du petit matin, avançaient silencieusement sur le taillis et appuyaient à gauche vers Pantin. Les premiers coups de feu éclatèrent. Machinalement, Claude regarda sa montre : il était quatre heures et demie. Mettant à profit les accidents du terrain coupé de haies, de murettes, les jeunes soldats armés à la légère se tapissaient, tiraient, bondissaient. Ils atteignirent le bois, s’y enfoncèrent. La mousqueterie devenait très vive. Des tambours roulèrent ; deux bataillons se formèrent en colonnes et partirent au pas accéléré pour soutenir l’attaque. La fusillade se transforma en un crépitement continu qui vibrait dans les oreilles, hérissait la peau. Le bois, les ondulations du sol vers Pantin disparaissaient sous des nuages, des étirements de fumée. Claude ne comprenait pas. Pourquoi donc une partie des troupes demeuraient-elles inemployées ? Il pensait que l’on se serait précipité en avalanche contre l’ennemi. Pas du tout, on restait là, debout, sans bouger, – et il aurait bien voulu s’asseoir.
    Le combat durait depuis une demi-heure environ, lorsque le capitaine de la 3 e s’exclama en tapant du pied : « Ah ! ça ne va pas, nous reculons ! » Vraiment, on reculait ! À quoi cela se reconnaissait-il ? Soudain un bruit étrange, une espèce d’énorme vrombissement, passa dans le ciel tandis qu’une secousse ébranlait la terre, puis un tonnerre pareil à celui de la batterie des Invalides quand elle annonçait une victoire gronda derrière Belleville. Claude se retourna : une épaisse fumée blanche couronnait la Butte-Chaumont dominant les toits du village. « Paixhans se décide à tirer, dit le capitaine. Ça ira mieux. » Le grondement et la vibration du sol ne s’arrêtèrent plus. Claude pensait à sa femme, à sa fille, à Thérèse ; cette violente canonnade devait les effrayer. Il voyait par endroits, aux points de chute, des remous creuser la nappe jaunâtre stagnant de Pantin à

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