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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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l’hypocrisie. Car nul n’ignore que le comte de Provence et le comte d’Artois haïssaient leur belle-sœur, jalousaient leur frère, et qu’ils n’ont pas peu contribué à les pousser vers l’échafaud.
    Dubon et Gabrielle, toujours coquettement mise, le teint toujours frais sous des cheveux maintenant blancs, avaient dîné avec leur fille et leurs petits-enfants. Bernard, comme tous les maréchaux présents à Paris, accompagnait le roi. « J’ai eu, dit Jean, la curiosité d’aller voir le cortège, rue Saint-Denis. Il s’y trouvait peu de monde, et pas recueilli pour un sou. On entendait des lazzi, des quolibets. Les soldats en haie présentaient leurs armes, au commandement, mais ils fredonnaient : Bon voyage, monsieur Dumollet ! »
    Bernard rentra pour souper, fort soucieux. « Le roi, dit-il, ne se rend pas assez compte du tort que lui cause le parti de son frère. Ces excités perdent la cause royale. À Saint-Denis, l’évêque de Troyes, prononçant l’oraison funèbre, a parlé en véritable fanatique. Si bien qu’en sortant Oudinot n’a pu se retenir de s’écrier : “Il va falloir maintenant, par expiation, nous couper tous le cou les uns aux autres.”
    — Mon pauvre Bernard, lui répondit son beau-père, tout cela est la faute de ton trop cher Louis XVIII seul, de sa fondamentale impuissance à se considérer comme un monarque constitutionnel. Un monarque constitutionnel n’a pas de frère ni de neveux dans son conseil. Ses ministres sont responsables devant les Chambres. S’ils l’étaient, les ineptes personnages qui détiennent actuellement les portefeuilles seraient depuis belle lurette remplacés par de vrais hommes de gouvernement, d’honnêtes libéraux, et tout irait bien. Quand on a offert le trône à Louis XVIII, j’ai dit que s’il se croyait roi par la grâce de Dieu il ne régnerait pas longtemps. Avant deux mois, lui, sa famille, leurs émigrés et leurs prêtres feront connaissance avec la guillotine ou les piques… À moins, à moins, peut-être, que Napoléon ne reparaisse, comme tant de gens s’y attendent.
    — Ils se leurrent, déclara Claude. Il ne suffit pas, pour le ramener, de fêter la Saint-Napoléon et de crier : “Vive l’Empereur !” Même ses fidèles Savary-Rovigo, Maret-Bassano, Lavalette n’iront point le chercher à l’île d’Elbe. Oh ! je sais ! Fouché envisage ce retour, et le redoute. Nous n’avons pas ses motifs personnels de le craindre. J’y verrais, au contraire, une chance pour la liberté, car Napoléon n’aurait aucune possibilité d’exercer son ancien despotisme. Après la Charte, il lui faudrait, bon gré mal gré, se montrer plus libéral que Louis XVIII. Mais l’éventualité de sa réapparition est absolument chimérique.
    — Je l’espère bien, dit Bernard. Napoléon revenant, ce serait une catastrophe pour la France. Les Alliés n’accepteraient jamais de le revoir sur le trône, et nous aurions de nouveau à combattre l’Europe entière. »
    La soirée, la nuit du 21 au 22 s’écoulèrent sans la moindre alerte. Claude, Lise, Thérèse, Claire dormirent paisiblement place Vendôme, tandis qu’au Marais Carnot veillait en armes avec une douzaine d’amis, pour la plupart officiers comme lui. En rejoignant leur domicile, où nulle troupe d’assassins ne s’était présentée, Claude et les trois femmes aperçurent un groupe de prêtres poursuivis, sur la place des Victoires, par des gens du peuple qui braillaient : « À bas les calotins ! » et leur lançaient des boules de neige.
    Les semaines suivantes, l’agitation ne cessa de croître : chaque nuit, on arrachait des drapeaux à fleurs de lys, on outrageait les portraits du roi, on barbouillait sur les enseignes les armes royales. Bientôt, la réaction contre le régime ne se cacha plus. En province, on bafouait publiquement Louis XVIII sous la forme de mannequins qui le représentaient habillé en femme ou en curé. On affichait des placards proclamant : « Français, réveillez-vous ! Napoléon s’éveille. » « Amis du grand Napoléon, réjouissez-vous, nous l’aurons sous peu. Les royalistes tremblent. » « Vive l’Empereur ! Il a été et il sera ! » M. Mounier écrivait que, pour maintenir l’ordre en Haute-Vienne, le préfet avait dû demander l’envoi à Limoges de tout un régiment. À Paris, on chantait sur les boulevards La Marseillaise, on distribuait des médailles à l’effigie de Napoléon

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