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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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pourra mettre à présent qu’un massacre de prêtres sur le compte de l’indignation populaire. »
    Néanmoins, Jean Dubon insistait pour que son beau-frère, et même Lise, Claire, Thérèse (Antoine était à Mont-de-Marsan depuis plus d’un mois) ne restassent pas chez eux le 21. « On ne sait jamais ! À quelles folies se porteraient des sicaires déçus de ne point trouver leur victime désignée ? Allez donc tous chez Bernard. Là, aucun risque. » Claudine joignit ses instances à celles de son père. « Oncle Claude, je vous invite tous les quatre, tu ne vas tout de même pas refuser une invitation de ta filleule !
    — Non, ma chère comtesse, certainement. Si c’est une réunion de famille, compte sur nous, madame la maréchale. » Claudine avait à présent trente-neuf ans ; sa fille, quinze ; son fils, treize.
    La cour entendait donner un caractère expiatoire aux cérémonies du 21. Toute activité devait être suspendue en ce jour. On poserait les premières pierres de deux monuments à la mémoire du « roi martyr », l’un sur l’ex-place de la Concorde, rebaptisée place Louis XV, l’autre au ci-devant cimetière de la Madeleine. Des services funèbres auraient lieu dans toutes les églises de France. Les cloches sonneraient le glas durant le transfert des « augustes restes ».
    Ce matin-là Thérèse, non point par ferveur royaliste mais par fidélité à des souvenirs, alla recevoir la communion et entendre l’office des morts à Saint-Germain-l’Auxerrois, dernière paroisse des feus souverains. Elle rentra irritée contre le curé. Évoquant le supplice du roi, il n’avait pas craint de conclure par une incitation singulière : « Jurez de poursuivre sans relâche les scélérats qui ont commis ce crime ! »
    « Sont-ce là des paroles à prononcer dans un sanctuaire ! grognait Thérèse en s’attablant.
    — Eh ! fit Claude, c’est celui d’où partit le signal de la Saint-Barthélemy, ne l’oubliez pas. L’Église romaine n’a jamais reculé devant un bon massacre.
    — Ne plaisantez pas, mon frère.
    — Je n’ai nullement le cœur à plaisanter, je vous assure.
    — Prêcher en ce jour la vengeance, c’est une injure à la mémoire de Louis XVI qui a trouvé dans sa sublime charité assez d’amour pour pardonner et pour prier Dieu de pardonner. Louis XVI était chrétien, ce curé ne l’est pas ; je ne mettrai plus les pieds dans son église. »
    Après le dîner, Lise confia la maison aux soins de Margot – on disait affectueusement « la vieille Margot », mais elle n’avait pas plus de cinquante-huit ans –, qui régnait à présent sur toute la domesticité, et l’on gagna la place Vendôme. Les rues étaient quasi désertes, la ville morte, enlinceulée. Les cloches sonnaient lugubrement. N’eussent été cette neige et le bruit du bronze, on aurait pu se croire en ce sinistre jour de 1792 où Paris, semblablement vide, attendait dans l’effroi les visites domiciliaires exigées par Danton. Lise songea, une minute, à l’affreux bossu, Buirette de Verrières. On ne l’avait plus revu, on n’avait plus jamais entendu parler de lui. Et tant mieux !… Mais elle et Claude ressentaient surtout, à vingt-deux ans de distance, l’angoisse qui les oppressait pendant la terrible veille aux Jacobins, dans la nuit et la matinée du 21 janvier 1793 : cette veille terminée par les salves de canon annonçant qu’un homme assurément bon, un homme aimant, aimé des siens et autrefois de toute la France, venait de mourir parce qu’il était roi.
    Aujourd’hui, le vieux couvent des Jacobins n’existait plus ; un marché lui succédait. La perspective de la place Vendôme ne s’ouvrait plus sur le passage des Feuillants et le Manège emportés par le percement de la rue de Rivoli. La tour du Temple, elle aussi, avait disparu, rasée en 1808. Rien n’évoquait plus la tragédie dont les scènes, après vingt-deux années si pleines d’événements, s’étaient estompées dans l’âme même des acteurs encore subsistants. Et voilà qu’on la faisait revivre, qu’on voulait la rendre inoubliable en consacrant par des monuments expiatoires son souvenir !
    « Sans doute, reconnut Claude, la famille royale ne pouvait-elle pas ne point transporter à Saint-Denis les sépultures de Louis XVI, de Marie-Antoinette et de Madame Élisabeth ; mais elle devait y procéder avec tact. Au lieu de quoi, on ajoute la provocation à

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