Les hommes perdus
et de Marie-Louise, portant au revers ces mots : « Courage et espérance. » D’autres figuraient un aigle ou un lion endormi, avec, en exergue : « Le réveil sera terrible. »
Fouché, revenu à Paris, s’inquiétait de ce bouillonnement bonapartiste. Persuadé que l’empereur, s’il reprenait le pouvoir, ne balancerait pas à en finir avec le ministre qui l’avait tant contrecarré, il s’employait, de concert avec Talleyrand au congrès de Vienne, à faire reléguer Napoléon dans une île beaucoup plus lointaine : Sainte-Hélène ou Sainte-Lucie. Pour lui, cet éloignement formait la condition essentielle de toute entreprise contre le régime, car, au premier bruit d’un soulèvement en France, Napoléon, demeuré à l’île d’Elbe, accourrait immanquablement pour accaparer la révolution.
Les fervents bonapartistes, particulièrement Savary, duc de Rovigo, Maret, duc de Bassano, le comte Lavalette, vaguement neveu par alliance de l’empereur, désiraient son retour, mais ne se dissimulaient pas le risque d’une telle provocation à l’Europe. Sieyès, assidu au Palais-Royal où Louis-Philippe d’Orléans avait retrouvé les aîtres de son enfance, souhaitait pour souverain l’ancien soldat de Valmy, de Jemmapes, de Neerwinden. M me de Staël, exilée sous l’Empire et rentrée dès sa chute, adoptait, avec ses amis Benjamin Constant, Sismondi, Barras également réapparu, ce parti garant d’une monarchie toute constitutionnelle. Mais Louis-Philippe refusait absolument une couronne qu’il eût usurpée. Claude s’était entremis pour rapprocher Sieyès et Fouché. D’un autre côté, Grégoire, Garat de retour de Bayonne, Réal, Thibaudeau – préfet des Bouches-du-Rhône jusqu’en mai précédent – avaient réconcilié le duc de Rovigo avec le duc d’Otrante, et celui-ci accordait tout le monde en reprenant la vieille idée de la régence. Les Bourbons chassés par un soulèvement national, on proclamerait Napoléon II empereur, sa mère régente, assistée d’un conseil comprenant le prince Eugène, fils de la première impératrice, Talleyrand, le maréchal Davout, Fouché ainsi que deux ou trois autres anciens conventionnels, dont Carnot.
Mis au courant de ce dessein par Réal et Garat, Claude dit à Fouché : « Je ne te comprends pas. Tu prônes la régence, paraît-il ! Comment peux-tu y croire ? Jamais le cabinet autrichien ne renverra chez nous Marie-Louise et son fils. Le seul parti raisonnable à tirer du mouvement qui va inévitablement se produire dans le peuple et l’armée serait de s’en servir pour faire pression sur Louis XVIII. Il faut le contraindre à renvoyer hors des frontières le comte d’Artois, la duchesse et le duc d’Angoulême, avec leur clique, à former un vrai ministère, composé de solides libéraux, et à gouverner selon la Charte. »
Le duc d’Otrante souriait en hochant le front. « C’est exactement mon intention, et je la réaliserai si ce diable de Napoléon ne vient pas se jeter à la traverse. Seulement, il faut amuser les bonapartistes, il faut qu’ils constatent la vanité de tout autre espoir. Alors, je déclencherai le mouvement. J’ai dans ma manche les généraux du Nord : Drouet d’Erlon, Lefebvre-Desnouettes, les frères Lallemand. Ils marcheront sur Paris à la tête de leurs troupes, entreront en ville sans difficulté, et, entraînant le peuple prêt à se soulever, forceront les Tuileries. La garde nationale ne bougera pas, je possède des garanties là-dessus. On peut même compter sur certains bataillons pour boucler la Maison militaire dans ses casernes sitôt Drouet d’Erlon au Bourget.
— En somme, un nouveau 20Juin.
— Oui, mais dans la discipline et avec un but très précis au lieu des inconsistances de Legendre et de Santerre.
— Et si Louis XVIII refusait ?
— J’en doute. Entre son trône et un frère visant à l’en déposséder, pourquoi hésiterai-t-il ? Au reste, le roi, je le sais, a déjà menacé Monsieur, la duchesse et son mari de les éloigner. »
En quittant la rue Cerutti après cet entretien, Claude ne se sentait pas tellement convaincu. Avec son immense et ombrageuse conscience de la majesté royale, Louis XVIII serait bien capable de se refuser à exécuter sous la contrainte une chose qui, autrement, ne lui eût peut-être pas déplu. Et puis, comment se comporterait en l’occurrence Bernard, gouverneur de Paris ? Claude ne voulait pas lui révéler
Weitere Kostenlose Bücher