Les hommes perdus
écrivait-il à Fouché : « Il n’y a pas de temps à perdre, nous devons proclamer Louis XVIII. » Il disait à Bernard : « J’ai vaincu mes préjugés. La plus irrésistible nécessité et la plus intime conviction m’ont déterminé à croire qu’il n’y a pas d’autre moyen de sauver la patrie. » Mais Fouché n’était pas le maître d’agir à son gré. Il fallait compter avec l’armée et avec les Chambres. L’armée voulait se battre, elle criait : « Vive Napoléon II ! » Et à mesure que le rappel de Louis XVIII devenait plus indispensable, la majorité des représentants s’y montrait plus opposée. Ce 3o juin, le nom de Napoléon II fut encore une fois acclamé à la Chambre des députés. Le libéral Durbach, dans une improvisation passionnée, s’écria : « Vous déclarerez aux puissances que les Bourbons, qui depuis un quart de siècle portent la guerre en France, sont ennemis du peuple français, et qu’ils sont proscrits de son territoire ; vous déclarerez qu’aucune proposition de paix ne pourra être faite ni écoutée si leur exclusion perpétuelle du trône n’est adoptée comme préliminaire et comme condition sine qua non de toute négociation ; vous déclarerez que les Français sont résolus à combattre à mort pour leur liberté et leur indépendance et qu’ils périront tous plutôt que de supporter le joug humiliant qu’on voudrait leur imposer. »
En lisant ces lignes dans le Moniteur du lendemain, Claude sentit vibrer sa vieille fibre jacobine. C’était digne de l’an II. Malheureusement, l’an II se trouvait loin. En ce moment, aux Tuileries, siégeait un conseil extraordinaire convoqué par le duc d’Otrante et comprenant, outre la Commission de gouvernement, les bureaux des deux Chambres plus quelques maréchaux. On y conclut à l’inopportunité de livrer bataille. Claude le sut, le soir, chez Fouché. « Carnot lui-même, dit le duc, a reconnu qu’une victoire différerait seulement la reddition jusqu’à l’arrivée des Autrichiens et des Russes. Cambacérès pour les pairs, Lanjuinais pour les représentants ont entendu cela, il leur faudra bien le digérer. Au reste, on a résolu de réunir un Conseil de guerre qui décidera si l’on doit résister ou capituler. » Mais, toujours de la bouche de Fouché, Claude apprit bien autre chose. Sans vouloir prolonger la guerre, Davout n’entendait pas permettre à l’ennemi d’enlever Paris d’assaut. Avisé, par les rapports des généraux, que les Prussiens, abandonnant aux Anglo-Bataves le soin de tenir le front nord, cherchaient une ouverture dans le sud où n’existait aucune fortification, Davout avait fait frapper sur eux, par le général Exelmans, un coup d’arrêt très brutal. Dans l’après-midi, exécutant une opération impeccablement montée, Exelmans avait, entre Versailles, Saint-Germain, Rocquencourt et Le Chesnay, anéanti toute une division prussienne. Après cela, Blücher serait peut-être plus enclin à la négociation.
Claude s’empressa de porter cette nouvelle à Bernard. La place Vendôme était encombrée par les villageois de la banlieue nord et est, qui, une fois de plus, se réfugiaient en ville avec leurs enfants, leur ménage chargé sur des carrioles, leurs bestiaux. Ils campaient dans la nuit claire et chaude. Bernard connaissait le succès d’Exelmans. « Je m’en réjouis fort, assura-t-il. Rappeler le roi n’empêche pas de taper sur l’ennemi. Il faut tenir les Anglais et les Prussiens à distance jusqu’à ce que Louis XVIII soit rentré dans sa capitale. Alors nous déposerons les armes, de notre propre volonté. Voilà ce que je vais dire au Conseil de guerre. J’y suis convoqué, avec Macdonald et Oudinot. Macdonald ne veut pas y aller, il se ménage. Moi, j’irai. Peu m’importe de me compromettre. J’irai pour servir la patrie. »
Le Conseil s’ouvrit à minuit, au quartier général de Davout, à La Villette. Les réponses aux questions posées sur l’état des fortifications et de l’armement montrèrent que l’on pouvait lutter. S’il n’existait pas de retranchements au sud, une formidable concentration d’artillerie y remédiait. En effet, dans l’espace relativement restreint qu’il avait à défendre, le général Vandamme disposait de quarante-trois pièces à grande portée, d’une forte réserve de pièces de 12, et des quatre-vingts canons et obusiers de ses deux corps d’infanterie. Quant au
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