Les hommes perdus
Aux offres de négociations, les Alliés répondaient par des fins de non recevoir. Ils n’entendaient pas traiter avant d’être de nouveau dans la capitale pour y dicter leurs conditions. Mais, contrairement à ce qu’ils s’imaginaient, et que l’on avait cru tout d’abord, l’armée vaincue n’était nullement détruite. Dès le 22 juin, Grouchy avait ramené à Givet vingt-huit mille hommes valides et cent canons ou obusiers. Rejoignant Laon, il y trouva vingt-sept autres mille soldats de toutes armes regroupés par Soult. Récupérant encore dix mille attardés, le maréchal Grouchy, nommé général en chef de l’armée du Nord et chargé de la conduire sous Paris, venait d’arriver à La Villette, après avoir gagné de vitesse les Prussiens et les Anglais entre lesquels il s’était glissé habilement, infligeant à Blücher, en cours de route, quelques bonnes gourmades. Le 29 juin au soir, Davout, généralissime, réunissant aux soixante-cinq mille hommes de Grouchy quarante mille tirés des dépôts ou de la garde nationale active, disposait de cent mille combattants pour défendre Paris.
Seulement, fallait-il défendre Paris ?… Ni Bernard ni Claude ne le pensaient. À quoi servirait de gagner ici une bataille alors que, dans dix, douze jours, se présenteraient quatre cent mille Austro-Russes, au moins, devant lesquels on devrait finir par capituler ? À faire tuer inutilement des braves, à payer plus cher la paix. Fouché s’employait à hâter le retour de Louis XVIII. « C’est la sagesse, hélas ! » disait Claude.
Le 3o à l’aube, il fut réveillé par le canon. De nouveau, il s’était inscrit comme volontaire, sans conviction mais par principe. Il alla rejoindre son bataillon, rue Cerutti. On gagna La Villette. Cette fois, les choses ne se présentaient pas comme l’année dernière : une puissante ceinture de fortifications protégeait tout le nord-est. Des marins, avec leurs pièces à longue portée, occupaient les ouvrages. Les soldats-citoyens furent répartis sur les remparts. En avant bivouaquaient les troupes de ligne, dont les grand-gardes s’étendaient au loin dans la plaine des Vertus, il était six heures. Les Prussiens attaquaient Aubervilliers depuis une heure environ. Bientôt, on le leur céda, car la position ne valait pas la peine d’y perdre du monde. Mais, quand ils voulurent pousser leur avantage, des trompettes sonnèrent sous le rempart. Deux régiments de chasseurs montèrent à cheval. Ils n’eurent pas à intervenir. Les batteries de marine tiraient et leurs boulets, ronflant par-dessus les bivouacs, allaient frapper les colonnes ennemies bien avant qu’elles ne fussent à portée de fusil des grand-gardes. On vit les sombres bataillons se disperser, se reformer en arrière et faire demi-tour. Deux autres attaques, dirigées simultanément contre Saint-Denis et les retranchements du canal de l’Ourcq furent arrêtées aussi catégoriquement. Les assaillants n’insistèrent pas. À huit heures du matin, le feu s’éteignit. Les Prussiens avaient compris qu’ils n’enlèveraient Paris ni par le nord ni par l’est.
La veille, l’empereur était parti pour Rochefort. En théorie, rien n’empêchait plus le retour du roi. Davout en reconnaissait la nécessité, l’urgence, car la France se trouvait envahie de toutes parts. La défaite de Napoléon à Mont-Saint-Jean – les Anglais disaient Waterloo – avait accéléré les mouvements des Alliés sur toutes les frontières. Alors que les Autrichiens, les Bavarois, les Russes suivaient les traces de Blücher et de Wellington, le prince de Wurtemberg assiégeait Strasbourg, le feld-maréchal de Wrède occupait Lunéville, Château-Salins et marchait sur Nancy. Lecourbe devait replier sa minuscule armée sous Belfort. Dans les Alpes, Suchet encerclé demandait un armistice. Vingt-cinq mille Espagnols entraient dans le Roussillon. Une flotte anglaise menaçait Toulon où Brune, avec ses cinq mille hommes, était impuissant. De plus, la guerre civile éclatait çà et là. Dans l’Ouest, une nouvelle chouannerie s’éveillait. Une insurrection légitimiste sévissait au Havre. À Dijon, le peuple tuait les bourbonistes, tandis qu’à Bordeaux, à Toulouse ceux-ci attaquaient la troupe. À Montpellier, une bataille rangée entre citoyens avait fait cent dix victimes. À Marseille, les royalistes venaient de massacrer cinq cents personnes dont plusieurs femmes.
Aussi Davout
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