Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
corps
étaient raides, et ce ne fut qu’à grands corps de corde qu’on les
fit tous lever, leur faisant faire mille postures ridicules et très
douloureuses. »
Ce n’était, du reste, qu’en faisant de la
manœuvre de la rame un cruel supplice, qu’on pouvait obtenir de
ceux qui y étaient employés le travail surhumain qu’on appelait la
vogue des galères. On tenta de faire manœuvrer quatre demi-galères
(dont les rames n’avaient que vingt-cinq pieds de long au lieu de
cinquante) par des mariniers exercés. Avec ces rameurs libres,
qu’on ne pouvait impunément martyriser, à peine put-on mener ces
demi-galères du port à la rade de Dunkerque, après quoi il fallut
regagner le port. On essaya alors de mettre à chaque rame, au poste
le plus pénible, un forçat, pour seconder les mariniers libres. Ce
ne fut que bien difficilement qu’on put aller de Dunkerque à
Ostende, le comité n’osant pas, en présence des mariniers, exercer
ses cruautés habituelles sur les galériens. On dut reconnaître que
seuls, les forçats pouvaient être employés à faire marcher les
galères à la rame, parce que seuls ils pouvaient être torturés sans
merci, jusqu’à la mort au besoin.
Quand il fallait faire campagne, presque
chaque jour les galériens étaient appelés à faire la terrible
manœuvre de la vogue, et beaucoup d’entre eux ne pouvaient y
résister. « Pendant le voyage, écrit l’intendant de la marine
à Colbert, il n’est mort que trente-six forçats,
ce qui est un
bonheur incroyable
, car l’année dernière nous en perdîmes
plus de quatre-vingts
, et autrefois les galères de Malte
en ont perdu des trois cents, en faisant la même navigation que nos
galères ont fait cette année ». Il n’est pas nécessaire de
faire ressortir la barbarie de cette instruction donnée par
Seignelai au directeur général des galères : « Comme rien
ne peut tant contribuer à rendre maniables les forçats qui sont
huguenots et n’ont pas voulu se faire instruire que
la
fatigue
qu’ils auraient pendant une campagne, ne manquez pas
de les faire mettre sur les galères qui vont à Alger. »
Les aumôniers qui s’entendaient à trouver les
meilleurs moyens de tourmenter les forçats pour la foi, laissaient
mettre de toutes les campagnes les plus opiniâtres, – Mauru, par
exemple, bien que la santé de ce malheureux fût mince et que son
corps fût épuisé.
Quand une galère avait à soutenir un combat en
mer, la situation des rameurs, réduits à l’état de rouages moteurs
de la galère, était horrible ; enchaînés à leurs bancs, ayant
dans la bouche un bâillon en liège, appelé tap, qu’on leur mettait
pour les empêcher, s’ils étaient blessés, de troubler leurs voisins
par leurs plaintes et leurs gémissements, ils devaient, bon gré mal
gré, attendre impassiblement la mort au milieu d’un combat auquel
ils ne prenaient point part. La mitraille et la fusillade de
l’ennemi frappaient sur les rameurs, car tuer ou blesser les
galériens, c’était immobiliser la galère en la privant de l’usage
des jambes redoutables qui lui permettaient de marcher sans le
secours du vent. Pendant ce temps, deux canons de la galère étaient
braqués sur la chiourme, que tenaient en respect cinquante soldats,
prêts à faire feu à la moindre apparence de révolte ; les
malheureux forçats étaient donc placés entre deux feux. Ils
attendaient ainsi la mort, sans savoir pour lequel des deux
combattants (leur galère ou le navire ennemi) ils devaient faire
des vœux.
Un jour la galère où se trouvait Marteilhe,
ayant échoué dans la tentative qu’elle avait faite, de
clystériser
avec son éperon d’avant, une frégate anglaise,
se trouva bord à bord avec ce navire qui la retint dans cette
situation périlleuse avec des grappins de fer.
« Ce fut alors, dit Marteilhe, qu’il nous
régala de son artillerie… tous ses canons étaient chargés à
mitraille… pas un coup de son artillerie, qui nous tirait à
brûle-pourpoint, ne se perdait. De plus, le capitaine avait sur les
hunes de ses mâts plusieurs de son monde avec des barils pleins de
grenades qui nous les faisaient pleuvoir dru comme grêle sur le
corps… ; l’ennemi fit, pour surcroît, une sortie de quarante à
cinquante hommes de son bord qui descendirent sur la galère, le
sabre à la main, et hachaient en pièces tout ce qui se trouvait
devant eux de l’équipage, épargnant cependant les forçats qui ne
faisaient
Weitere Kostenlose Bücher