Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
les
rameurs de devant cette rame qui a manqué, en tombant assis sur les
bancs, se cassent la tête sur cette rame qui a pris trop tard son
entrée ; et, par là encore, ces mêmes rameurs qui ont manqué,
se heurtent la tête contre la rame qui vogue derrière eux. Ils n’en
sont pas quittes pour s’être fait des contusions à la tête, le
comité les rosse encore à grands coups de corde. »
Marteilhe décrit ainsi ce rude exercice de la
vogue : « Qu’on se figure, dit-il, six malheureux
enchaînés et
nus comme la main
, assis sur leur banc,
tenant la rame à la main, un pied sur la
pédague
, qui est
une grosse barre de bois attachée à la banquette, et, de l’autre
pied, montant sur le banc devant eux en s’allongeant le corps, les
bras raides, pour pousser et avancer leur rame jusque sous le corps
de ceux de devant qui sont occupés à faire le même mouvement ;
et, ayant avancé ainsi leur rame, ils l’élèvent pour la frapper
dans la mer, et, du même temps se jettent, ou plutôt se précipitent
en arrière, pour tomber assis sur leur banc. Il faut l’avoir vu
pour croire que ces misérables rameurs puissent résister à un
travail si rude ; et quiconque n’a jamais vu voguer une
galère, en le voyant pour la première fois ne pourrait jamais
imaginer que ces malheureux pussent y tenir une demi-heure. – On
les fait voguer, non seulement une heure ou deux, mais même dix à
douze heures de suite. »
« Je me suis trouvé avoir ramé à toute
force pendant vingt-quatre heures sans nous reposer un moment. Dans
ces moments, les comités et autres mariniers nous mettaient à la
bouche un morceau de biscuit trempé dans du vin sans que nous
levassions les mains de la rame, pour nous empêcher de tomber en
défaillance. »
« Pour lors, on n’entend que hurlements
de ces malheureux, ruisselants de sang par les coups de corde
meurtriers qu’on leur donne ; on n’entend que claquer les
cordes, que les injures et les blasphèmes de ces affreux
comités ; on n’entend que les officiers criant aux comités,
déjà las et harassés d’avoir violemment frappé, de redoubler leurs
coups. Et lorsque quelqu’un de ces malheureux forçats
crève sur
la rame
,
ainsi qu’il arrive souvent
, on frappe sur
lui tant qu’on lui voit la moindre apparence de vie et, lorsqu’il
ne respire plus,
on le jette à la mer comme une
charogne
. »
Un jour la galère sur laquelle se trouvait
Marteilhe, faisant force de rames pour atteindre un navire anglais,
et le comité ne pouvant, malgré les coups dont il accablait les
rameurs, hâter suffisamment la marche de la galère au gré du
lieutenant, celui-ci lui criait : « Redouble tes coups,
bourreau, pour intimider et animer ces, chiens-là !
Fais
comme j’ai vu souvent faire aux galères de Malte
, coupe le
bras d’un de ces chiens-là pour te servir de bâton et en battre les
autres. »
Un autre jour le capitaine de cette galère
ayant mené jusqu’à Douvres le duc d’Aumont qu’il avait régalé,
celui-ci voyant le misérable état de la chiourme, dit qu’il ne
comprenait pas comment ces malheureux pouvaient dormir, étant si
serrés et n’ayant aucune commodité pour se coucher dans leurs
bancs.
« J’ai le secret de les faire dormir, dit
le capitaine, je vais leur préparer une bonne prise d’opium »,
et il donne l’ordre de retourner à Boulogne.
Le vent et la marée étaient contraires et la
galère se trouvait à dix lieues de ce port. Le capitaine ordonne
qu’on fasse force rames et passe vogue, c’est-à-dire qu’on double
le temps de la cadence de la vogue (ce qui lasse plus dans une
heure que quatre heures de vogue ordinaire). La galère arrivée à
Boulogne, le capitaine dit au duc d’Aumont qui se levait de table,
qu’il lui voulait faire voir l’effet de son opium ; la plupart
dormaient, ceux qui ne pouvaient reposer feignaient aussi de
dormir, le capitaine l’avait ordonné ainsi. Mais quel horrible
spectacle ! « Six malheureux dans chaque banc accroupis
et amoncelés les uns sur les autres, tout nus, personne n’avait eu
la force de vêtir sa chemise ; la plupart ensanglantés des
coups qu’ils avaient reçus et tout leur corps écumant de
sueur. » Ce cruel capitaine voulut encore montrer qu’il savait
aussi bien éveiller sa chiourme que l’endormir et il fit siffler le
réveil. « C’était la plus grande pitié du monde… Presque
personne ne pouvait se lever, tant leurs jambes et tout leur
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