Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
aucun mouvement de défense. »
Les rames de la galère s’étant trouvées
brisées par suite de l’abordage entre les deux navires, les Anglais
n’avaient plus, du reste, aucun intérêt à frapper les forçats qui
ne pouvaient plus mettre les rames en mouvement.
Quant à ceux-ci, enchaînés à leurs bancs, les
menottes aux mains et le bâillon à la bouche, ils eussent eu bien
de la peine à faire quelque tentative de défense. L’eussent-ils pu,
ils auraient été bien sots de le faire, ainsi que le montre
l’exemple suivant.
Un jour, dans une rencontre entre les galères
de l’Espagne et celles de la France, les galères françaises ayant
le dessous, on remit aux forçats français des corbeilles de
cailloux, leur promettant la liberté si l’ennemi était repoussé.
Les forçats firent pleuvoir sur les Espagnols une telle grêle de
pierres qu’ils les repoussèrent et que les galères françaises
furent dégagées ; mais on ne tint pas parole aux forçats qui,
le danger passé ; restèrent à la rame et furent traités comme
devant.
Marteilhe poursuit ainsi l’émouvant récit du
combat entre sa galère et la frégate anglaise, dans la terrible
situation faite aux forçats-rameurs, par l’abordage des deux
navires : « Il se rencontra, dit-il, que notre banc, dans
lequel nous étions cinq forçats et un esclave turc, se trouva
vis-à-vis d’un canon de la frégate que je voyais bien qui était
chargé ; en m’élevant un peu, je l’eusse pu toucher avec la
main… Ce vilain voisin nous fit tous frémir ; mes camarades de
banc se couchèrent tout plats, croyant échapper à son coup… Je me
déterminai à me tenir tout droit dans le banc, je n’en pouvais
sortir. J’y étais enchaîné ! Que faire ? … Je vis le
canonnier, avec sa mèche allumée à la main qui commençait à mettre
le feu au canon sur le devant de la frégate, et, de canon en canon,
venait vers celui qui donnait sur notre banc, je ne pouvais
distraire mes yeux de ce canonnier.
« Il vint donc à ce canon fatal ;
j’eus la constance de lui voir mettre le feu, me tenant toujours
tout droit, en recommandant mon âme au Seigneur. Le canon tira et
je fus étourdi… le coup de canon m’avait jeté aussi loin que ma
chaîne pouvait s’étendre… Il était nuit ; je crus d’abord que
mes camarades de banc se tenaient couchés par crainte du canon… Le
Turc du banc, qui avait été janissaire, restant couché comme les
autres : Quoi ! lui dis-je, Isouf, voilà donc la première
fois que tu as peur ; lève-toi ! et en même temps je
voulus le prendre parle bras pour l’aider. Mais, ô horreur !
qui me fait frémir quand j’y pense,
son bras détaché du corps
me resta à la main
. Je rejette avec horreur ce bras… lui,
comme les quatre autres, étaient hachés comme chair à pâté… Je
perdais beaucoup de sang, sans pouvoir être aidé de personne, tous
étaient morts, tant à mon banc qu’à celui d’au-dessous, et à celui
d’au-dessus, si bien que de dix-huit personnes que nous étions dans
ces trois bancs il n’en échappa que moi, avec trois
blessures. »
Le combat fini, on porta les blessés dans la
cale sombre et basse du navire, et l’on jeta à la mer ceux qui
paraissaient morts. Dans la confusion et l’obscurité Marteilhe, à
qui le sang coulé de ses blessures avait fait perdre connaissance,
faillit être ainsi jeté par-dessus le bord : heureusement pour
lui, un des argousins qui le déferraient, appuya si fort sur une de
ses plaies que la douleur le tira de son évanouissement et lui fit
pousser un grand cri.
On l’emporta à fond de cale avec les autres
blessés, et on le jeta
sur un câble roulé
, dur lit de
repos pour un malheureux blessé souffrant cruellement. Il resta
trois jours dans cet affreux fond de cale, sans être pansé qu’avec
un peu d’eau-de-vie et de camphre. « Les blessés, dit-il,
mouraient comme des mouches dans ce fond de cale, où il faisait une
chaleur à étouffer et une puanteur horrible, ce qui causait une si
grande corruption dans nos plaies que la gangrène s’y mit partout.
Dans cet état nous arrivâmes, trois jours après le combat, à la
rade de Dunkerque. »
C’est dans cette cale que les malades étaient
placés au cours d’une campagne et qu’ils avaient à passer, non
trois jours, mais des semaines et des mois entiers.
Voici la lugubre description que fait de cette
infirmerie des galères l’aumônier Jean Bion : « Il y
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