Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
tout
particulier de grandeur ; si le huguenot franchissait la
frontière, ce n’était pas, comme l’émigré de 1793, pour sauver sa
tête, et il n’était pas chassé de son pays, comme le Maure l’avait
été de l’Espagne. Tout au contraire, s’il voulait rester et prendre
le masque catholique, il lui était offert, pour prix d’une facile
hypocrisie, honneurs, faveurs et privilèges de toutes sortes. Qu’il
eût été ou non contraint par la violence à renier des lèvres sa foi
religieuse, le péril ne commençait pour lui que du moment où il se
mettait en route pour aller chercher au-delà des frontières, une
terre de liberté de conscience où il pût avoir la liberté de prier
Dieu à sa manière. Pour se soustraire au viol journalier de sa
conscience, il lui fallait tout quitter, renoncer à ses biens,
abandonner ses parents, sa femme, ses enfants, tous les êtres qui
lui étaient chers, et s’exposer, s’il échouait dans sa tentative
d’évasion, à des peines terribles. S’il réussissait à franchir la
frontière, c’était l’exil au milieu d’une population étrangère dont
il ne connaissait ni les mœurs ni la langue, et la dure nécessité
de mendier son pain ou de gagner sa vie péniblement à la sueur de
son front.
On sait à quel point le Français est attaché à
son pays, et combien, alors même qu’il s’agit d’aller se fixer à
l’étranger avec tous les siens et en emportant son avoir, il a de
la peine à s’arracher aux liens multiples et invisibles qui le
retiennent à son pays natal ; combien devait être grand le
déchirement de cœur du huguenot, obligé de s’expatrier dans les
conditions que je viens d’indiquer, et combien, une fois arrivé à
l’étranger, devait être amer pour lui le regret de la patrie,
regret qu’un réfugié traduit éloquemment en ces quelques
mots :
la patrie me revient toujours à cœur
. Il
fallut donc que la révolte de la conscience fût bien puissante pour
que l’émigration des huguenots en vint à prendre les proportions
d’un véritable exode et constituât pour la France un désastre.
Au début de l’émigration, alors qu’il n’y
avait point de peines édictées contre ceux qui seraient surpris sur
les frontières,
en état de sortir du royaume
, il était
difficile d’empêcher les huguenots de passer la frontière.
En effet, l’édit de 1669 maintenait le droit
de sortir du royaume pour tous les Français, sortant de temps en
temps de leur pays pour aller travailler et négocier dans les pays
étrangers, et il ne leur défendait que d’aller s’établir dans les
pays étrangers, par mariages, acquisitions d’immeubles et transport
de leurs familles et biens,
pour y prendre leurs établissements
stables et sans retour
.
C’est pourquoi Châteauneuf recourait à cet
expédient pour empêcher l’émigration des huguenots, il écrivait aux
intendants : « Sa Majesté trouve bon qu’on se serve de sa
déclaration qui défend à tous ceux, de la religion prétendue
réformée, d’envoyer et de faire élever leurs enfants dans les pays
étrangers avant l’âge de seize ans, pour faire entendre à ceux de
la dite religion qui voudront se retirer hors du royaume, que,
quand on leur laisserait cette liberté
, on ne permettra
point qu’ils emmènent leurs enfants au-dessous de cet âge, ce qui,
sans doute, sera un bon moyen pour empêcher les pères et mères de
quitter leurs habitation… »
Plus d’une fois, du reste, le gouvernement
devait avoir recours à ce cruel expédient de mettre les huguenots
dans cette douloureuse alternative, ou d’être séparés de leurs
enfants, ou de renoncer à aller chercher sur la terre étrangère la
liberté religieuse qu’on leur refusait en France.
Ainsi, pour les rares notabilités protestantes
à qui l’on ne crut pas pouvoir refuser la permission de sortir de
France, on eut soin de retenir leurs enfants pour les mettre aux
mains des convertisseurs ; il en fut de même pour les
opiniâtres
, qu’après un long temps de relégation ou
d’emprisonnement, on se décida à expulser. Quant aux ministres que
l’édit de révocation mettait dans l’alternative, ou de sortir de
France, dans un délai de quinze jours, ou d’abjurer, dès le 21
octobre 1685, une circulaire aux intendants prescrivait de ne
comprendre dans les brevets qu’on leur accordait, que leurs enfants
de l’âge de sept ans ou au-dessous
, les autres devant être
retenus en France.
Que
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