Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
accompagnait quelquefois d’un peu de
lard jaune. La plus jeune y a souffert du fouet, l’une et l’autre
on été exposées aux outrages et aux soufflets. Elles avaient
toujours sur les bras des prêtres et des dévotes qui les
punissaient quelquefois si sévèrement, que, pour éviter
les
violences
, elles ne trouvaient plus d’autre remède que
de
se jeter par la fenêtre
quoiqu’elles fussent d’un étage de
haut. On les a deux fois réduites à cette extrémité et l’on s’est
vu deux fois obligé de les retirer de ce pas. On leur avait ôté
toutes les choses dont elles pouvaient se faire du mal, comme des
couteaux, des épingles, des cordes, etc. Un matin que la servante
était allée à la messe, les petites filles se lèvent à la hâte,
sortent de la maison et vont se réfugier, à un quart de lieue de
Rebais, chez un réformé. Pendant qu’elles sont là, le chirurgien
qui les a en garde vient deux fois faire perquisition dans la
maison ; elles vont se cacher dans les blés ; à la nuit
elles se mettent en route,
marchant sans bas et sans
souliers
, au milieu des cailloux, des ronces et des
épines.
C’est ainsi qu’elles firent trois grandes
lieues et arrivèrent à La Ferté à trois heures du matin, où, venant
à la porte de leur grand-père, elles l’éveillèrent par leurs cris.
Je les vis,
elles étaient dans un état qui faisait pitié
,
leurs corps étaient pleins de gale et leurs pieds
déchirés
.
Le procureur fiscal voulait pourtant les
reprendre, et le grand-père n’eut d’autre ressource pour éviter
qu’il en fût ainsi que de les emmener quatre ou cinq heures après
leur arrivée pour les présenter au premier président. Malgré les
promesses de celui-ci et l’intervention de Ruvigny, député général
des protestants, elles furent mises au couvent de Charonne, et un
placet au roi donne les détails navrants qui suivent, sur le
traitement qu’elles eurent à subir dans ce couvent :
Quand l’abbesse vit que les caresses, les
promesses et les menaces, de l’autre, ne pouvaient rien gagner sur
elles, elle se servit des coups, des soufflets, de la rigueur du
froid, de la violence du feu et d’autres tourments pour les obliger
à démordre. Chacun sait combien a été rude l’hiver qui finissait
l’année 1683 et qui commençait l’année 1684. Pendant tout ce
temps-là on les a laissées
sans feu
, exposées à toutes les
rigueurs que peut causer un froid excessif ; on les
a
garrottées
quelquefois fort étroitement ; on leur a
serré les doigts avec des cordes
et, à tous ces tourments
on ajoutait des paroles pleines de fureur et de malédiction. Le
jour des Cendres 1684, alors que tout le monde était à l’Église,
elles se sauvèrent par-dessus les murs du jardin et se rendirent
chez un marchand nommé Sire, dont elles avaient entendu dire qu’on
voulait enlever la fille. Celui-ci les cacha tantôt dans une maison
tantôt dans une autre, pendant près d’un an et réussit enfin à les
faire partir pour la Hollande où elles arrivèrent au mois d’avril
1685.
L’histoire des petites Mirat montre quelle
valeur pouvait avoir, à la veille de la révocation,
le prétendu
bruit
que tel ou tel enfant qu’on enlevait à ses parents avait
manifesté le désir de se convertir ; ce qui rendait ce
prétexte
d’enlèvement encore moins admissible, c’est que
Louis XIV avait abrogé l’édit de 1669 interdisant d’induire à se
convertir les filles avant douze ans et les garçons avant quatorze
ans, et conformément à la loi catholique qui porte que,
à sept
ans
, l’homme est en âge de connaissance.
Il avait publié en 1681 la déclaration
suivante : « Voulons et nous plaît que nos sujets de la
religion prétendue réformée, tant mâles que femelles ayant atteint
l’âge de
sept ans
puissent et qu’il leur soit loisible
d’embrasser la religion catholique
et que à cet effet ils
soient reçus à faire leur abjuration de la religion prétendue
réformée,
sans que leurs pères et mères ou autres parents y
puissent donner aucun empêchement
. Voulons qu’il soit
aux
choix
des dits enfants de retourner dans la maison de leurs
pères et mères pour y être nourris et entretenus ou de se
retirer ailleurs
et de leur demander une pension
proportionnée à leurs conditions et facultés. »
En vain les protestants adressèrent-ils une
requête au roi, faisant observer que cette déclaration permettant à
des enfants qui avaient encore aux lèvres le
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