Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
j’ai
trompé et affligé madame votre femme pour qu’elle ne fût jamais
soupçonnée par vous, comme elle l’aurait été si je m’étais servie
de tout autre moyen pour lui demander ma nièce.
« Voilà, mon cher cousin, mes intentions
qui sont bonnes, et droites, qui ne peuvent être soupçonnées
d’aucun intérêt, et que vous ne sauriez désapprouver dans le même
temps qu’elles vous affligent, comme je vous fais justice, et que
vos déplaisirs me touchent, faites-la moi aussi, recevez avec
tendresse la plus grande marque que je puisse vous donner de la
mienne, puisque je fâche ce que j’aime et que j’estime, pour servir
des enfants que je ne puis jamais tant aimer que lui, et qui me
perdront avant que je puisse connaître s’il sont ingrats ou
non. »
Ainsi les catholiques pouvaient dire, et
croyaient peut-être, que la plus grande marque de
tendresse
qu’ils pussent donner à un parent ou à un ami
huguenot, était de lui enlever ses enfants et de les convertir
malgré lui ! N’y a t-il pas là un exemple frappant de cette
aberration morale que produit cette passion religieuse qui vous
enlève toute notion du juste et de l’injuste.
Du reste les convertisseurs ne se donnent
bientôt plus la peine de prétexter un désir prétendu de conversion
chez les enfants qu’ils enlèvent, et le gouvernement lui-même les
autorise, par son exemple, à en agir ainsi. Témoin cet ordre du
cabinet du roi, antérieur à la révocation : « Le roi veut
que M. le curé de la Junquières fasse remettre au porteur de
ce billet, l’enfant de M. de la Pénissière qui est
en
nourrice
dans sa paroisse. »
C’était une incroyable émulation de zèle entre
les convertisseurs, fort peu soucieux des droits des pères de
famille, désireux de se faire bien voir en cour. Cette émulation
multipliait chaque jour davantage ces enlèvements d’enfants. Il ne
faut donc pas s’étonner si à la veille de l’édit de révocation, les
maisons de propagation de la foi regorgeaient d’enfants huguenots
mis à l’abri des prétendues persécutions de leurs parents
hérétiques, derrière les grilles des couvents.
Vient l’édit de révocation, décrétant que tout
enfant qui naîtrait désormais de parents huguenots serait
obligatoirement baptisé par le curé et
élevé dans la religion
catholique
. Il restait encore aux huguenots leurs enfants nés
avant l’édit, mais Louis XIV complète bientôt son œuvre, il décide
qu’on enlèvera les enfants huguenots
de cinq à seize ans
,
pour les élever dans la religion catholique ; une déclaration
antérieure avait mis déjà sous la main du gouvernement tous les
enfants de moins de seize ans par cette disposition
prévoyante : « Enjoignons très expressément à nos sujets
de la religion prétendue réformée qui ont envoyé élever leurs
enfants dans les pays étrangers,
les faire revenir sans
délai
, leur défendons d’envoyer leurs enfants dans les pays
étrangers pour leur éducation
avant l’âge de seize
ans
. »
Louis XIV motive ainsi son terrible édit,
exécutoire dans les huit jours
: « Nous estimons
à présent nécessaire de procurer avec la même application le salut
de ceux qui étaient avant cette loi, et de suppléer de cette sorte
au défaut de leurs parents, qui se trouvent encore malheureusement
engagés dans l’hérésie,
qui ne pourraient faire qu’un mauvais
usage de l’autorité que
la nature leur donne pour
l’éducation de leurs enfants…
voulons et nous plaît que
dans huit jours
, après la publication faite de notre
présent édit,
tous les enfants
de nos sujets qui font
encore profession de la dite religion prétendue réformée,
depuis l’âge de cinq ans jusqu’à celui de seize accomplis
,
soient mis dans les mains de leurs parents catholiques, à défaut
dans les mains de telles personnes catholiques qui seront nommées
par les juges, ou
dans les hôpitaux généraux
,
si
les pères et mères ne sont pas en état de payer les pensions
nécessaires pour faire élever et instruire leurs enfants hors de
leurs maisons… tous ces enfants
seront élevés dans la religion
catholique
. »
L’enlèvement général des enfants, ce grand
massacre des innocents
, comme l’ont qualifié les
huguenots, était heureusement chose impossible. Seuls, les nobles,
les notables, les bourgeois aisés eurent à subir l’application de
cet odieux édit, la masse fut sauvée du désastre par l’obscurité de
sa
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