Les joyaux de la sorcière
cigarette dans les basques juponnantes d’une veste de satin dont il n’avait pas l’habitude.
— Pourquoi, mon Dieu ? À cause de… votre femme ?
— Un peu, oui… sans doute mais ce n’est pas le principal. Je pense que c’est surtout à cause de Vauxbrun. Il vous aime et…
— … et moi je l’aime bien mais pas comme ça ! Et je ne suis pas sa propriété…
— Quoi qu’il en soit j’ai trahi sa confiance… et abusé de l’hospitalité de votre frère !
— Je suis chez moi autant que lui et cette baraque en a vu d’autres. Quittez cette mine de naufragé et regardez-moi !
Il obéit et son visage crispé se détendit. Dans la lumière rose du matin elle était magnifique. La somptueuse coiffure d’orchidées, d’améthystes, de perles et d’or gisait sous un meuble comme la balle oubliée d’un chien. Ses cheveux noirs et lustrés glissaient jusqu’à ses reins et, dans sa longue robe chatoyante pudiquement refermée, elle avait l’air très jeune, très vulnérable aussi. Au regard assombri d’Aldo, elle répondit par un sourire et s’approcha de lui mais en observant une distance. Puis elle parla et sa voix basse, feutrée, charnelle reconstituait l’intimité interrompue :
— Dis-moi seulement si tu as été heureux ? Moi je l’ai été au-delà de toute espérance. Jamais un homme ne m’a aimée de la sorte et pourtant nous n’avons eu que peu d’instants…
— Moi aussi j’ai été… plus qu’heureux, avoua-t-il encore secoué par la violence de sa jouissance, mais il faudra que cela nous suffise ! Nous avons succombé à la magie d’une nuit de fête, à ces costumes qui ont fait de nous des êtres différents… Il faut réintégrer le XX e siècle !…
— Chasser Don Juan et l’impératrice de Chine ? Refermer le livre des Mille et Une Nuits quand nous n’en avons même pas lu un chapitre ? Dommage !… C’est vous bien sûr qui avez raison mais la raison et nous autres les Belmont n’ont jamais beaucoup cohabité.
Elle alla ramasser la tiare fleurie et se dirigea vers la porte :
— Je vais essayer de dormir un peu dans l’espoir qu’au réveil il me semblera que j’ai rêvé ! Je vous en souhaite autant, mon cher prince !
— J’aimerais y parvenir. Ce sera je le crains difficile.
Elle tourna à peine la tête et il ne vit qu’un profil perdu dont il ne put lire l’expression :
— Merci, dit-elle.
Aldo dormit cependant et comme une bûche au point de ne pas entendre la cloche du lunch mais il en fut de même pour les autres et la table ne fut desservie que lorsque vint le moment de préparer le thé, le mode de vie à l’anglaise ayant perduré dans les anciennes colonies de la côte nord-est des États-Unis. Encore ne remporta-t-il pas, ce jour-là, un franc succès. Ni Pauline ni sa belle-sœur ne parurent. Seuls John-Augustus et Adalbert qui étaient allés se baigner vinrent y faire honneur. Quant à Aldo, il était allé nager lui aussi pour se remettre les idées en place mais, n’aimant pas le thé, il avait en sortant de l’eau emprunté une bicyclette pour filer à la White Horse Tavern où il avait bu deux ou trois tasses de café accompagnées d’autant de cigarettes mais sans échanger avec Ted autre chose qu’un salut : il y avait un monde fou et le personnel était débordé. Ce qui lui valut une relative tranquillité en vertu du vieil adage proclamant que l’on n’est jamais aussi seul qu’au milieu d’une foule.
Son aventure du matin le laissait perplexe. S’il continuait à se sentir coupable, il n’arrivait pas à la regretter. Même pour lui que bien des femmes avaient aimé et qui, à deux reprises au moins, avait connu la passion. Avec Pauline il avait atteint l’éblouissement absolu et le sentiment d’amitié qu’il lui portait n’avait rien à voir avec l’Amour. Le sien appartenait toujours à Lisa et sans le moindre partage : il l’aimait avec sa chair autant qu’avec son cœur mais le corps de Pauline recelait un charme capiteux dont il fallait apprendre à se méfier. C’était comme un sortilège que n’expliquaient ni la douceur de sa peau ni la splendeur de sa beauté épanouie… ni une science certaine de l’amour. Elle était de ces femmes rares pour qui un homme pouvait tout quitter – même la vie ! – sans éprouver pour elles la moindre tendresse. Or jusque-là il lui avait voué une sorte d’affection fraternelle née de la reconnaissance et
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