Les joyaux de la sorcière
lui, superbe dans une robe de crêpe georgette de ce gris qu’elle affectionnait dont le corsage souple retenu par de minces épaulettes et les longs volants décalés faisaient briller à chaque mouvement les perles de cristal dégradées du blanc au noir. Aucun collier ne coupait la ferme colonne de son cou sur lequel ses cheveux de laque noire étaient noués en un chignon qui lui tirait la tête en arrière. Quelques étoiles de diamant y étaient piquées semblables à celles montées en longues girandoles qui tremblaient de chaque côté de son visage.
En venant prendre le bras d’Aldo avec l’aisance parfaite d’une femme du monde, elle murmura :
— Vous arrivez à point nommé pour avoir le temps de digérer la surprise avant l’arrivée des vedettes…
— Quelles vedettes avons-nous ?
— Adolphe Menjou, l’acteur de cinéma et surtout l’immense Cécile Sorel et son comte de Ségur de mari. Quant à la surprise…
— Merci, j’ai vu…
En effet, assise à la place indiquée par le maître d’hôtel, à la gauche du Commandant, la belle Alice jouait avec ses longs sautoirs de perles tandis que penché sur elle, Adalbert lui parlait de façon intime.
— Eh oui ! soupira Pauline. Nous allons dîner ensemble ! Ce que c’est que d’appartenir à d’illustres familles américaines ! Mais grâce à Dieu nous ne serons pas face à face, cette chipie et moi. Vous ne serez pas non plus trop près de votre « ami ». Ni de moi ajouta-t-elle avec une grimace. C’est votre égyptologue qui va être mon voisin mais comme il sera loin de sa belle, je crains qu’il ne soit pas très récréatif…
— Cela m’étonnerait. Il est brillant, en général et, croyez-moi, c’est fondamentalement un homme charmant. Qui avons-nous d’autre ?
— L’attraction d’hier : ma petite cousine Dorothy et son chevalier ailé…
— Il a décidé de rester avec nous ?
— Le moyen de faire autrement ? De toute façon et même s’il n’a pas le sou sur ce bateau, il en a largement les moyens. Le Commandant qui est un vrai gentleman, le traite en invité privilégié… et lui a même prêté un smoking. Il y a aussi un jeune couple adorable : Vladimir Ivanov et sa femme Caroline. C’est un Russe blanc naturalisé américain et elle appartient à l’une de nos bonnes familles, les Van Duysen…
Ils approchaient de la table où il allait bien falloir faire quelques présentations, ce dont Aldo se réjouissait secrètement, quand une énorme ovation mit tout le monde debout : le maître du navire descendait le grand escalier entouré du jeune Van Laere et de Dorothy Paine, jolie à croquer dans une robe on ne pouvait plus virginale, en tulle blanc piqué de petits bouquets de roses pompons de la même teinte que ses joues : elle vivait là avec son héros une heure de gloire. Arrivés à destination, l’officier fit les présentations.
D’aspect sévère avec un beau visage énergique et d’épais cheveux grisonnants, le Commandant Blancart n’en était pas moins renommé pour sa courtoisie et sa galanterie. Son courage et son audace aussi. Le bruit courait encore du premier voyage de l’ Île - de-France en direction du Havre au sortir des chantiers de Saint-Nazaire où l’officier signait les derniers papiers avant de donner l’ordre d’appareillage : une manœuvre criminelle avait, à sa place, ordonné de mettre les machines en marche. Le bateau avançait dans un bassin où tout écart était impossible et l’espèce de pont-levis qui séparait ce bassin de la sortie du port était fermé. L’ordre de stopper vint aussitôt mais le bateau courait sur son erre. Une belle tentative de sabotage qui aurait rendu fou n’importe quel commandant de bord mais Blancart n’était pas n’importe qui. Il fit corner l’ordre d’ouvrir le pont et, prenant en personne la barre en main, dirigea l’ Île-de-France droit sur l’étroit passage en pensant que son coup d’audace pouvait payer, vaincre l’incroyable concours de circonstances et que les dégâts seraient moindres. Et il réussit : le pont se leva presque à ras de l’étrave et s’écarta suffisamment pour que le bateau pût franchir le goulet sans une égratignure, salué par les acclamations de la foule massée sur les quais.
C’était ce même marin qui, un sourire un peu timide aux lèvres, recevait à présent en homme du monde confirmé, présentant ses invités les uns aux autres. Il y avait là
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