Les joyaux de la sorcière
outre Pauline, Aldo, la princesse Obolensky et Adalbert, Van Laere et Dorothy Paine, le jeune couple américano-russe annoncé : le comte et la comtesse Ivanov. Lui un magnifique gaillard taillé pour porter la tenue des anciens chevaliers-gardes, elle, née Caroline Van Druysen, une grande fille blonde, rieuse et charmante, élégante aussi dans une robe de velours noir et une parure de fort beaux rubis, s’assortissaient magnifiquement. On échangeait baisemains et shake-hands quand Menjou souriant et volubile arriva en hâte s’excusant sur les aléas du poker et chacun prit sa place.
— Tout le monde n’est pas arrivé ? émit le Commandant en constatant que la place en face de la sienne restait vide ainsi qu’une autre entre Caroline Ivanov et l’aviateur.
Un éclat de rire de Pauline lui répondit :
— Quand on invite Célimène, Commandant, il faut s’attendre à ce qu’elle n’arrive que le théâtre plein et le rideau levé depuis un moment. La grande Sorel ne saurait entrer comme vous et moi.
— Sans doute mais comme cette dame n’est pas chef d’État ni tête couronnée, je n’ai aucune raison de faire attendre d’autres dames et je vais ordonner que l’on serve…
L’instant suivant, un silence de la salle saluait l’arrivée de la comédienne et en vérité il y avait de quoi. Sur l’escalier, vide à présent, se dressait la silhouette majestueuse et insolente de celle qui à la Comédie-Française remplaçait Sarah Bernhardt pour le faste et l’excentricité et continuait d’interpréter Célimène, Phèdre ou Andromaque la quarantaine passée mais avec quelle allure ! Drapée d’une sorte de simarre cardinalice sur une longue robe de lamé argent, la tête orgueilleusement rejetée en arrière coiffée d’aigrettes pourpres sur un bandeau de diamants, sa longue main posée sur l’épaule de son époux, le comte Guillaume de Ségur, elle resta immobile un instant, somptueuse et insolite si l’on s’en tenait à la mode qu’elle dédaignait avec superbe, regardant cette salle comme elle l’eût fait depuis la scène du Français. Des applaudissements crépitèrent et Célimène acheva noblement sa descente, accueillie au bas des marches par celui que la courtoisie obligeait à l’y chercher.
Lorsqu’elle fut près de lui – il allait avoir l’honneur d’être son voisin – Aldo s’avoua qu’elle était encore belle – le cheveu blond vénitien, l’œil bleu agrandi par un maquillage parfait, la large bouche carminée s’ouvrant sur des dents un peu trop régulières peut-être, cette comtesse de Ségur d’un nouveau genre répandait autour d’elle autant de parfum qu’une cassolette orientale. En outre, elle parlait – toujours pour la galerie ! – d’une voix de tête avec parfois des intonations graves donnant l’impression qu’elle était en scène. À peine fut-elle assise que toute conversation devint impossible. Comme une reine recevant sa cour, la grande Cécile tint une sorte de conférence destinée à distribuer à chacun de ses compagnons des sortes de satisfecit qui leur démontra qu’elle savait exactement qui ils étaient.
— Elle a dû se faire communiquer la liste des invités, chuchota Pauline qui avait trouvé le moyen de changer de place pour rejoindre Aldo et qui s’était entendu déclarer pour sa part quelle « maniait le ciseau comme Molière sa plume… », c’est assez habile : les compliments font toujours plaisir.
Chacun y eut droit et comme le tour de table s’achevait par Aldo occupé à déguster le homard thermidor que la tragédienne dédaignait superbement, il bénéficia, à sa surprise, d’un régime particulier. Après lui avoir déclaré à haute et intelligible voix qu’il était « le magicien des fastes du passé », la grande Cécile baissa notablement le ton pour lui demander – tout en se décidant à attaquer son crustacé et alors qu’un bienfaisant silence permettait d’achever le plat tranquillement – ce qu’il savait du sort exact des « autres » diamants du Collier de la Reine. Elle était persuadée d’en posséder un qu’elle portait à l’annulaire gauche entouré d’autres plus petits. Aldo se pencha sur la belle main qu’elle lui tendait et observa avec attention la bague en question.
— Il se peut que vous ayez raison, Madame. Votre diamant doit peser trois carats. Il y en avait huit de ce poids dans le fameux collier qui, si ma mémoire est fidèle et
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