Les joyaux de la sorcière
s’agissant des diamants ronds en comptait vingt-six : un de onze carats, quatorze de dix, trois de cinq, huit de trois plus six cent trois petits diamants ronds sans compter les dix-huit en forme de poire. Le vôtre peut fort bien être l’un des huit. Où l’avez-vous acheté ?
— À Londres, chez un antiquaire dont j’ai oublié le nom. Il m’a assurée de son authenticité. Donc celui-ci n’est pas en question : c’est le sort des autres qui m’intéresse…
— En dehors de ceux que possèdent les ducs de Sutherland et de Dorset les autres ont été éparpillés et remontés dans d’autres bijoux…
— Oh j’aurais tant aimé savoir ! Voyez-vous je rêve d’en acheter encore quelques-uns et si pouviez m’aider je vous en aurais une reconnaissance infinie…
« Ça y est, pensa Aldo. Encore une qui me prend pour une espèce de détective privé qui n’a rien d’autre à faire qu’attendre le client ! » Son regard, à ce moment, croisa celui d’Adalbert qui, séparé de sa belle par une bonne longueur de table, s’ennuyait visiblement comme un rat mort en faisant des efforts surhumains pour entretenir la conversation avec sa voisine. Il y vit luire un instant l’étincelle de la vieille complicité – tout à l’heure, ils avaient échangé une poignée de main correcte mais sans plus avant qu’Aldo fût admis à saluer Alice Obolensky – mais ce fut très fugace, les yeux de Vidal-Pellicorne revenant aussitôt vers Alice en train de bavarder avec le Commandant Blancart. Mais il fallait répondre à son impérieuse voisine :
— Vous me demandez l’impossible, Madame. À moins que l’une des deux maisons ducales que je viens de citer n’annonce une vente – ce qui me paraît impensable ! – je ne vois pas comment je pourrais retrouver des pierres isolées, peut-être retaillées et incluses dans différentes pièces de joaillerie. À moins d’un miracle…
— N’êtes-vous pas justement l’homme des miracles ? intervint Cyril Ivanov qui suivait la conversation avec attention. Je parierais que votre présence ce soir s’explique par la traque de quelque joyau ? Je me trompe ?
Ivanov possédait la beauté froide d’une statue grecque mais son sourire était charmant. Morosini le lui rendit à sa manière nonchalante :
— Sans doute perdriez-vous. Il se peut que je souhaite visiter une collection privée… ou répondre à l’appel d’une importante personnalité empêchée de se déplacer… par son âge par exemple ?
— Comme le maître de la Standard Oil ? John Rockefeller est, en effet, très âgé. Cependant à quatre-vingt-dix ans, il joue encore au golf sur les links de sa propriété de Pocantico Hills…
Aldo eut un rire bref :
— Lui ou un autre ! Et pourquoi mon voyage ne serait-il pas motivé par le simple désir de revoir les États-Unis où je ne suis pas retourné depuis la guerre ? L’écho de son exceptionnelle prospérité…
— Ah c’est bien vrai ! s’enthousiasma aussitôt le jeune homme. Depuis l’élection du Président Hoover nous connaissons une incroyable période. Le niveau de vie ne cesse de monter. Songez que d’après une récente statistique, un Américain moyen ne possède pas moins de vingt costumes, douze chapeaux, huit pardessus et vingt-quatre paires de chaussures !
— Je suppose que vous en possédez beaucoup plus ? fit Morosini avec une pointe d’insolence…
— Ma foi je n’en sais rien ! Je renouvelle souvent mais une chose est certaine, les fortunes s’édifient chez nous à grande vitesse ! Depuis que Chrysler a institué une sorte de vente à crédit, les voitures de luxe encombrent les rues de New York et, tenez, si l’on regarde votre partie, prince, à la fin de l’année dernière, Black Starr et Frost, les joailliers de la 5e Avenue, ont proposé un extraordinaire collier de perles roses qu’ils avaient chiffré 685 000 dollars. Ils ne l’ont pas gardé huit jours. Celui qui l’a acheté ne s’est pas fait connaître mais d’après les vendeurs il s’agissait d’une « fortune récente et modeste » ! Tout se vend, tout s’achète et jusque dans les journaux on trouve des annonces vantant des zibelines à 50 000 dollars…
— Prodigieux, en effet !
— Et absolument exact, approuva Pauline mais vous devriez ajouter que c’est dû à une spéculation effrénée. Le Stock Exchange (14) flambe sans cesse et pour ma part je me demande si ce n’est pas
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