Les joyaux de la sorcière
tout, concéda Pauline, mais…
— Pas de mais, s’il vous plaît ! C’est très important qu’il en soit ainsi.
— Ce qui veut dire que vous n’avez pas la moindre intention de m’apprendre quelles sont vos raisons ?
— En effet. Et je vous en demande pardon.
— Quel homme mystérieux vous faites ! Et vous, ajouta-t-elle en revenant à Vauxbrun qui donnait de légers signes d’impatience de se voir à ce point délaissé. Vous avez une idée de ce que notre ami cherche là-bas ? À part les ennuis qui ne peuvent manquer lorsque l’on se cache plus ou moins.
— Pas la moindre. Il y a longtemps que j’ai appris à me contenter de ce que Morosini a la bonté de me confier et vous devriez m’imiter. Imaginez un instant qu’il soit sur la piste de quelque bijou hors du commun et qu’il ait l’intention de s’introduire discrètement dans l’un des véritables palais de Newport ? C’est un coup à vous perdre de réputation et mieux vaut l’ignorer. Nous ne nous en porterons que mieux vous et moi !
Son ton allègre, son sourire suggéraient la boutade, pourtant Pauline ne s’en montra pas amusée. Tandis que ses longs doigts habiles jouaient avec les perles de son collier, elle considéra d’un œil rêveur les rutilances qu’allumaient les bougies dans son verre.
— Je ne suis pas de votre avis, dit-elle. Ce pourrait au contraire être très distrayant. Voire passionnant…
Puis comme, avec une belle unanimité, les deux hommes se récriaient sur le danger de parer « une simple » affaire de couleurs trop romantiques, elle avala d’un coup le contenu de son verre, les regarda l’un après l’autre et déclara que finalement elle était bien bonne de se soucier de prétendus amis qui refusaient à ce point de lui faire confiance.
— Mais vous avez mon entière confiance, baronne…
— Appelez-moi Pauline ! Et vous aussi, enjoignit-elle en regardant Vauxbrun qui rougit de joie même si l’injonction s’était adressée à Aldo avant lui.
— Soit ! Donc vous avez ma confiance, je vous le répète, ma chère Pauline. J’aurais mauvaise grâce à refuser après ce que vous avez fait pour moi. Cependant…
— Oh que je n’aime pas ce mot-là ! Cela sent la restriction !
— Absolument pas ! Je veux seulement vous rappeler ce que vous m’avez dit, durant la traversée, de ce monde des affaires qui règne sur l’Amérique d’aujourd’hui…
— Comme il régnait sur celle d’hier, grogna Vauxbrun avec un haussement d’épaules, et régnera sur celle de demain…
— Sans doute mais, si comme vous le dites et tout me le laisse supposer, il est devenu particulièrement dur, je ne veux à aucun prix qu’une femme aussi rare que vous, une artiste de surcroît se trouve mêlée à l’une des miennes. Elles sont parfois sujettes à des chocs en retour très désagréables.
— Comme en général ce qui touche aux pierres précieuses surtout quand elles sont historiques n’est-ce pas ?
— En effet.
— Je vois. Libre à moi d’imaginer quelle trace d’antique trésor vous espérez relever à Newport, cette foire aux vanités ? Pauvre Amérique en vérité ! soupira la baronne. Elle dépense des fortunes et se donne un mal de chien pour s’approprier quelques-uns des chefs-d’œuvre de la vieille Europe et celle-ci ne le supporte pas : il faut qu’elle envoie ses enfants les plus doués pour nous les reprendre. Le fauteuil d’un roi et je ne sais quel joyau ! Vous pourriez au contraire nous être reconnaissants de les sauver souvent du désastre…
— Oh mais nous sommes pleins de gratitude envers John Rockefeller qui nous aide si généreusement à refaire les toits de Versailles, dit Gilles. C’est de la grandeur d’âme et je suis certain qu’il serait d’accord avec moi dans ma quête des meubles et objets qu’une révolution stupide a sottement dilapidés…
— Quant aux joyaux, enchaîna Aldo, ils fascinent trop pour que le désastre, c’est-à-dire la destruction, les atteigne. En revanche ils sont eux-mêmes source de catastrophes souvent imprévisibles. Et c’est selon moi, conclut-il avec un sourire nonchalant, faire œuvre pie qu’éviter le malheur à des amis chers.
Pauline se mit à rire et ne fit aucun commentaire. Son regard passa lentement de l’un des deux hommes à l’autre mais quand il s’arrêta sur Aldo son sourire s’accentua. Et quand, le repas terminé, elle ramena ses invités au salon
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