Les larmes du diable
vers lui. « Joseph, nous devons convaincre Elizabeth de parler, sinon, je ne donne pas cher de sa vie. »
Il se mordit la lèvre, une habitude chez lui. « Quand je lui ai apporté à manger hier, elle est restée couchée et a regardé l’assiette. Pas un mot de remerciement, pas même un signe de tête. Je crois que cela fait des jours qu’elle n’a rien avalé. Je lui ai apporté des fleurs, mais je ne sais même pas si elle leur accordera un regard.
— Voyons ce que nous pouvons faire. »
Il hocha la tête avec reconnaissance. Alors que nous nous levions, je demandai : « Sir Edwin sait-il que vous vous êtes adressé à moi ?
— Je ne lui ai pas parlé depuis une semaine, depuis qu’il m’a chassé de chez lui pour avoir dit qu’Elizabeth n’était peut-être pas coupable », répondit Joseph en secouant la tête. Un éclair de colère passa sur son visage. « Il s’imagine que, si je veux sauver Elizabeth, je suis nécessairement contre lui et les siens.
— Malgré tout, il l’a peut-être appris.
— Qu’est-ce qui vous fait croire cela, messire ?
— Oh rien, peu importe. »
Le corps tout entier de Joseph parut s’affaisser à mesure que nous approchions de la prison. Nous passâmes la grille ménagée dans le mur, par laquelle les plus démunis des prisonniers tendaient leurs mains avides, apostrophant les passants et implorant leur charité pour l’amour de Dieu. Les prisonniers sans argent n’avaient presque rien à manger et on racontait que certains mouraient de faim. Je déposai un penny dans une main crasseuse et fébrile, puis frappai vigoureusement à la porte de bois massive. Un guichet s’ouvrit et un visage dur, coiffé d’un bonnet graisseux, apparut. Les yeux glissèrent sur ma robe noire.
« Je suis avocat et viens voir Elizabeth Wentworth avec son oncle, dis-je. Il a payé pour ma visite. » Le guichet se referma avec un bruit sec et la porte s’ouvrit. Le geôlier me scruta d’un œil curieux. Il était vêtu d’une chemise sale et un gourdin pendait à sa ceinture. Malgré la chaleur extérieure, il faisait frais dans la prison, dont les épaisses murailles mêmes semblaient dégager un froid humide. Le geôlier cria : « Williams ! » et un gros guichetier en justaucorps de cuir apparut, un imposant trousseau de clefs à la main.
« Un avocat pour l’infanticide. » Il m’adressa un sourire mauvais. « Vous avez lu ce qu’on publie sur elle ?
— Oui, répondis-je sèchement.
— Elle refuse toujours de parler, fit-il en secouant la tête. Pour elle, ça sera la presse. Dites-moi, l’avocat, vous le saviez, vous, que d’après les anciens textes les prisonniers doivent être nus quand on les enchaîne au sol pour leur mettre les poids dessus. Dommage d’être obligé d’écrabouiller une jolie paire de tétons. »
Le visage du malheureux Joseph se crispa. « Rien ne stipule une chose pareille », rétorquai-je froidement.
Le geôlier cracha par terre. « Foin des scribouilleurs comme vous ! Je connais les règles en vigueur dans ma prison. » Il fit un signe au guichetier : « Emmène-les à la basse-fosse des femmes. »
On nous fit emprunter un large couloir qui traversait les quartiers. À travers les ouvertures à barreaux ménagées dans les portes, on voyait des hommes assis ou couchés sur des paillasses, les jambes attachées au mur par de longues chaînes ; l’odeur d’urine était si forte qu’elle piquait les narines. Le guichetier avançait en se dandinant, dans un cliquetis de clefs. Il ouvrit une lourde porte et nous fit descendre un escalier plongé dans la pénombre. En bas se trouvait une autre porte. L’homme tira un guichet et regarda à l’intérieur avant de nous laisser entrer.
« L’est couchée comme hier, quand j’ai amené à la porte les gens qui voulaient la regarder. Muette comme la pierre, elle était. S’est cachée quand ils l’ont traitée de sorcière et de tueuse d’enfant. » Il secoua la tête.
« Pouvons-nous entrer ? »
Il haussa les épaules et ouvrit la porte, qu’il referma bruyamment dès que nous en eûmes franchi le seuil.
La basse-fosse, la partie la plus profonde et la plus sombre de la prison, comprenait un cachot pour les hommes et un pour les femmes. Celui des femmes était une petite pièce carrée, chichement éclairée par une fenêtre à barreaux tout près du plafond, par laquelle on apercevait les chaussures et le bas des jupes des passants. Non seulement il y faisait aussi
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