Les larmes du diable
Et qui donc a eu pitié de moi ? Ma foi est morte et j’attends de mourir aussi pour pouvoir cracher à la face d’un Dieu qui se montre aussi cruel ! » Elle défia Barak du regard, puis se laissa retomber sur son lit, épuisée.
Ses paroles résonnèrent dans la pièce. Joseph agita les mains avec angoisse, comme pour chasser les paroles qui venaient d’être prononcées. « Lizzy, c’est un blasphème ! Tu veux donc être brûlée comme sorcière ? » Il joignit les mains et commença à prier à haute voix : « Ô Toi, Dieu miséricordieux, viens en aide à Ta fille, fais tomber la poutre de son œil et ramène-la dans les voies de l’obéissance !
— Autant jeter de l’eau dans la rivière ! » s’écria Barak en écartant Joseph d’un coup d’épaule pour se pencher sur Elizabeth. « Écoutez, ma fille, j’ai vu ce petit garçon. Sa mort doit être vengée. Si Ralph n’est plus, il y en a d’autres qui ont couvert son crime, comme si ce petit mendiant était une chose sans importance. Pensez aussi à sa sœur Sarah : peut-être la laissera-t-on sortir de Bedlam si on découvre que son frère a bel et bien été enlevé et assassiné.
— Et qu’est-ce qu’elle deviendra quand on la relâchera, demanda Elizabeth avec désespoir. Elle recommencera à mendier ou elle deviendra ribaude. »
J’enfouis ma tête dans mes mains, accablé par l’horreur de la situation. J’avais devant moi une fille innocente, victime d’une suite de calamités, puis de la cruauté des monstrueux enfants desir Edwin, et qui tournait finalement sa colère contre le Dieu qui semblait l’avoir abandonnée. Manifestement pieuse autrefois, elle avait étudié la Bible comme d’autres jeunes chrétiens. Les épreuves terribles qu’elle avait subies avaient eu raison de sa foi. Mais n’y avait-il pas une effroyable logique dans sa certitude que Dieu s’était détourné d’elle ? Je pensai aux milliers d’enfants abandonnés qui mendiaient dans les rues.
Complètement bouleversé, Joseph se tordait les mains. « On pourrait l’accuser de blasphème, gémit-il, d’athéisme, même. » Je regardai la porte, me demandant si le guichetier écoutait, car, si tel était le cas, les propos d’Elizabeth suffiraient à la mettre sous le coup d’une nouvelle accusation. Mais non, l’homme devait préférer se tenir à l’écart de cette chambre de malade.
« Calmez-vous, Joseph, pour l’amour du ciel », lançai-je. Je regardai Elizabeth, qui sanglotait à présent. On n’entendait plus que cette sourde plainte pitoyable. « Faut-il s’étonner de ce qu’elle en soit arrivée à penser ainsi ?
— Ne me dites pas que vous l’excusez ! s’exclama Joseph, stupéfait.
— Elizabeth », dis-je. Elle leva de nouveau les yeux vers moi. Son accès de colère avait fait monter du rose à ses joues pâles. « Elizabeth, quelle que soit votre opinion sur les voies du Seigneur, vous devez admettre que Barak a raison. C’est la famille de votre oncle Edwin que vous devez blâmer, car c’est elle qui a commis de mauvaises actions. Et si l’un des membres de cette famille a tué Ralph, vous devez le dire, car le meurtrier doit être livré à la justice.
— Il ne le sera pas. Je vous dis que je suis damnée. » Et d’une voix plus forte, elle déclara : « Qu’il en soit fait selon la volonté de Dieu. Qu’on m’exécute ! Que Ses œuvres s’accomplissent ! » Elle retomba sur ses oreillers, épuisée.
« Dans ce cas, je devrai affronter la famille moi-même », dis-je.
Elle ne répondit pas et ferma les yeux. Elle semblait être retournée dans ces ténèbres où elle vivait à présent. Au bout de quelques instants, je me levai, me tournai vers les autres. « Venez. » J’ouvris la porte pour appeler le guichetier, qui était descendu attendre au bas de l’escalier. Quand nous quittâmes la cellule, Joseph chancelait tant qu’il faillit tomber.
Une fois dehors, il frissonna malgré la chaleur. « Dire que je pensais que la situation ne pouvait pas être pire ! souffla-t-il.
— Je sais. Il y a de quoi vous glacer le sang, répondis-je. Mais je vous en conjure, Joseph, n’oubliez pas qu’Elizabeth a l’esprit affecté, ni qu’elle a traversé une série d’épreuves effroyables. »
Il me regarda, et je lus sur son visage une terreur absolue. « Ainsi, vous la croyez, chuchota-t-il. Mon frère a engendré des démons.
— Je découvrirai le coupable », dis-je.
Il secoua la tête, visiblement en
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