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Les larmes du diable

Les larmes du diable

Titel: Les larmes du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christopher John Sansom
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occupés, les assises de Londres avaient donc été avancées afin qu’on se débarrasse des affaires criminelles. Je passai dans la salle d’audience, serrant contre moi mon dossier de précédents, et saluai la cour.
    Assis sur son estrade, le juge Forbizer examinait des papiers. Sa toge écarlate tranchait sur les vêtements ternes de la foule qui se pressait sur les bancs. Les assises étaient un spectacle fort apprécié, et l’affaire Wentworth suscitait grand intérêt. Je cherchai Joseph du regard et le découvris assis à l’extrémité d’un banc, serré contre la fenêtre tant l’affluence était grande. Dans son angoisse, il se mordait la lèvre. Il leva une main pour me saluer et je souris avec une assurance que je n’éprouvais pas. Il avait rendu visite à Elizabeth chaque jour depuis le mardi, mais elle n’avait toujours pas prononcé un mot. Je l’avais rencontré la veille et lui avais dit que j’essaierais d’invoquer la démence car c’était notre seule issue.
    À quelque distance de lui était assis un homme qui lui ressemblait tant qu’il ne pouvait que s’agir de son frère Edwin. Il portait une élégante robe verte bordée de fourrure, et avait les traits tirés. En me voyant, il me lança un regard furieux et rassembla les plis de sa robe autour de lui. Ainsi, il savait qui j’étais.
    C’est alors qu’au rang devant lui j’avisai le jeune homme qui m’avait épié près de la boutique de Guy. Aujourd’hui, il portait un pourpoint plus sobre, vert foncé. Il était assis dans une posture insolente, le menton sur un coude, négligemment appuyé sur la balustrade qui séparait les rangs des spectateurs du tribunal. Ses grands yeux sombres me dévisageaient avec curiosité. Je fronçai les sourcils, ce qui provoqua un sourire furtif de sa part, et il s’installa plus confortablement. Je ne m’étais donc pas trompé. On avait chargé ce drôle de me surveiller afin d’essayer de me déconcerter. Eh bien, ils en seraient pour leurs frais. Je relevai ma toge et me dirigeai vers le banc des avocats. Comme il s’agissait d’affaires au criminel, il était vide, mais Bealknap se tenait un peu plus loin, dans l’embrasure d’une porte. Il parlait avec un homme en robe ecclésiastique : l’ordinaire de l’évêque.
    À cette époque, on faisait encore un usage répandu et perverti du bénéfice de clergie. Un homme convaincu de crime pouvait prétendre qu’il était clerc d’un ordre religieux et demander à être jugé par l’évêque. Pour obtenir ce bénéfice, il suffisait de prouver qu’on n’était pas illettré en lisant le premier verset du Psaume 51. Le roi Henry avait restreint l’usage du bénéfice de clergie aux crimes non passibles de la peine de mort, mais la loi était encore en vigueur. Ceux qui satisfaisaient à l’épreuve de la lecture étaient transférés à la prison de l’évêque où ils restaient jusqu’à ce que ce dernier estime qu’ils s’étaient repentis, ledit repentir étant vérifié par douze témoins justificateurs, hommes de bon renom, qui attestaient de la vérité des dires de l’accusé. Bealknap avait tout un réseau de ces témoins justificateurs qui, moyennant finances, se portaient volontiers garants pour un accusé. À Lincoln’s Inn, tout le monde était au courant des pratiques de Bealknap, mais aucun avocat ne dénonçait jamais un confrère.
    Lorsque je pris place, Forbizer me dévisagea. Impossible de juger de son humeur : son mince visage bilieux exprimait toujours le même froid dégoût devant la dépravation humaine. Il avait une longue barbe grise, soigneusement coupée, et des yeux durs, très noirs, qui me regardaient froidement. Un avocat apparaissant lors d’un procès criminel signifiait des interruptions procédurales fâcheuses.
    « Que voulez-vous ? » me demanda-t-il.
    Je le saluai. « Je suis ici pour représenter demoiselle Wentworth, Votre Honneur.
    — Ah oui ? Nous verrons. » Il se replongea dans ses papiers. Je m’assis.
    Il se fit un branle-bas dans la salle à l’apparition du jury, composé de douze marchands de Londres manifestement bien nourris que l’on escorta jusqu’au banc des jurés. Puis la porte des cellules s’ouvrit et l’huissier introduisit douze prisonniers en haillons. Les affaires les plus graves étaient d’abord entendues, celles qui étaient passibles de la peine de mort : assassinat, vol avec effraction, et vol d’objets évalués à plus d’un shilling.

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