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Les larmes du diable

Les larmes du diable

Titel: Les larmes du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christopher John Sansom
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Les accusés étaient enchaînés ensemble par les chevilles et leurs fers cliquetaient tandis qu’on les menait au banc des accusés. À leur entrée se répandit une vigoureuse puanteur, et certains spectateurs sortirent des bouquets. Mais Forbizer ne parut pas autrement incommodé. Elizabeth était au bout de la file, à côté de la grosse femme accusée d’avoir volé un cheval. Celle-ci serrait étroitement la main d’un jeune homme loqueteux qui tremblait et ravalait ses larmes : son fils, assurément. Auparavant, je n’avais aperçu d’Elizabeth que son visage. Je constatai alors qu’elle était bien faite. Elle était vêtue d’une robe ordinaire grise, toute sale et fripée d’avoir été portée plus d’une semaine à Newgate. J’essayai de croiser son regard, mais elle gardait la tête baissée. Un murmure parcourut l’assistance, et je vis le jeune homme au visage aigu la regarder avec intérêt.
    Les prisonniers entravés avancèrent et prirent place sur le banc. La plupart d’entre eux avaient la mine tirée, terrifiée, et à présent le jeune voleur de chevaux tremblait comme une feuille. Forbizer leur adressa un regard sévère. Le greffier se leva et demanda aux prisonniers un par un ce qu’ils plaidaient. Chacun répondit non coupable. Le tour d’Elizabeth vint en dernier.
    « Elizabeth Wentworth, dit solennellement le greffier, vous êtes accusée du meurtre infâme de Ralph Wentworth, le seize mai dernier. Plaidez-vous coupable ou non coupable ? »
    Dans la salle, la tension était palpable mais je restai assis, il fallait que j’attende de voir si elle saisissait cette dernière chance de parler, et je la regardai avec insistance. Elle baissa la tête et ses longs cheveux emmêlés tombèrent en avant, lui cachant le visage. Forbizer se pencha sur sa table.
    « On vous pose une question, demoiselle, dit-il d’un ton uni et froid. Vous feriez bien de répondre. »
    Elle leva la tête et posa sur lui le même regard vague qu’elle avait eu pour moi dans sa cellule. Forbizer rougit légèrement.
    « Demoiselle, vous êtes accusée du crime le plus infâme qui soit envers Dieu et les hommes. Acceptez-vous, oui ou non, d’être jugée par un jury de vos semblables ? »
    Elle ne répondit ni ne broncha.
    « Fort bien, nous reviendrons là-dessus à la fin de la séance. » Il l’observa intensément pendant quelques instants encore, puis lança : « Qu’on examine la première affaire. »
    Elizabeth resta totalement immobile tandis que le greffier lisait le premier acte d’accusation. Elle ne bougea pas pendant les deux heures qui suivirent, sauf de temps à autre pour changer de jambe d’appui.
    Moi qui n’avais pas assisté à un procès criminel depuis des années, je fus à nouveau surpris par la vitesse et la désinvolture avec lesquelles on expédiait les affaires. Après la lecture de l’acte d’accusation, on appelait des témoins, qui prêtaient serment. Les prisonniers avaient le droit de poser des questions à leurs accusateurs, ou de produire des témoins, et à plusieurs reprises cela donna lieu à des échanges d’insultes que Forbizer fit cesser en intervenant d’une voix claire et sèche. La mère et le fils furent accusés par un gros aubergiste ; la mère répéta à moult reprises avec insistance qu’elle ne s’était jamais trouvée là, bien que l’aubergiste eût deux témoins. Son fils se borna à sangloter en tremblant de tous ses membres. Enfin, les jurés se retirèrent pour délibérer. Ils devaient rester sans manger et sans boire dans la salle des délibérations tant qu’ils n’étaient pas parvenus à tomber d’accord sur un verdict. Ils ne seraient donc pas longs. Les prisonniers, angoissés, bougeaient les pieds, faisant tinter leurs chaînes. Les conversations allaient bon train dans le public.
    Tout le monde ayant été entassé depuis le matin dans cette salle chaude, la puanteur était devenue épouvantable. Par la fenêtre entrait un rai de soleil qui me chauffait le dos et commençait à me faire transpirer. Je jurai intérieurement : les juges n’aiment pas du tout les avocats qui transpirent. Je regardai à l’entour. Joseph était assis, la tête dans les mains tandis que, les yeux mi-clos, la bouche crispée, son frère observait la silhouette figée et immobile d’Elizabeth. Mon espion s’adossa à son banc, les bras croisés.
    Le jury revint. Le greffier tendit à Forbizer la liasse de plaintes sur lesquelles ils

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