Les larmes du diable
qui se réduisait à une plateforme en bois courant tout autour du mur, à l’exception d’une pièce proche de l’escalier dont la porte était fermée.
« Ce doit être le bureau, dis-je.
— On y va ? »
Je hochai la tête, mon cœur battant la chamade. Nous montâmes avec précaution les marches branlantes. Je regardai la porte, craignant de la voir s’ouvrir, et Toky se jeter sur nous. Barak tenait son épée devant lui et j’avais la main crispée sur le poignard à ma ceinture. Mais nous atteignîmes la plateforme sans encombre. La porte du bureau était elle aussi fermée par un cadenas. La pénombre semblait s’être obscurcie ; en levant les yeux vers la fenêtre en haut du mur, je vis que le ciel était noir comme un crépuscule d’hiver et entendis un lointain roulement de tonnerre.
Barak se pencha vers le cadenas. La poussière me fit tousser. L’endroit semblait abandonné depuis des mois. Je promenai les yeux le long de la plateforme. Il y avait une balle de drap dans un coin. Barak émit un grognement de satisfaction lorsque le cadenascéda. Reculant d’un pas, il donna un coup de pied dans la porte, qui s’ouvrit à la volée.
La pièce était vide ; elle ne contenait absolument rien, hormis la grande ouverture par laquelle on voyait le ciel menaçant et l’extrémité du treuil, fixé au plancher par des boulons. Puis j’avisai une porte menant à une autre pièce. Je donnai un coup de coude à Barak, qui l’ouvrit et poussa un sifflement en voyant ce qu’elle renfermait.
Au milieu se trouvait une table sur laquelle étaient posés un cruchon de bière, trois assiettes, une chandelle éteinte et un morceau de pain. À côté de la table, une autre balle de drap servait de siège. Nous entrâmes.
« L’endroit était occupé, il n’y a pas longtemps », dis-je.
Barak se figea en découvrant ce qui était placé le long du mur du fond : un long tuyau de métal avec une mèche à une extrémité, une pompe à l’aspect compliqué et un trépied de métal, le tout entassé à l’intérieur d’une grande cuve en métal.
« L’appareil à lancer le feu grégeois ! s’exclama-t-il. Et regardez cela. »
À côté du vilain fouillis de métal, je vis un vase en porcelaine au col long et étroit d’environ deux pieds de haut. Il rappelait ceux que l’on utilisait pour y mettre des arbustes décoratifs dans une cour. J’en avais vu de semblables à la Maison de verre. M’approchant, je soulevai avec prudence le petit couvercle. À l’intérieur, je découvris un liquide sombre et visqueux. La puanteur horrible et maintenant familière du feu grégeois me hérissa les cheveux sur la nuque.
Je sentis l’haleine chaude de Barak sur ma joue. Debout à côté de moi, il regarda à l’intérieur du vase, trempa un doigt dedans et l’approcha de son nez pour le sentir. « Nous l’avons ! s’écria-t-il. Morbleu, nous l’avons ! » Il recula, le visage illuminé de joie, la main crispée sur le pommeau de son épée dans l’excitation du moment.
« C’est sans doute tout ce qu’il reste, dis-je. Même pas de quoi remplir le fond de la cuve. En tout cas, pas de quoi brûler un navire, loin de là.
— Je sais, dit Barak, qui renifla son doigt, l’écarta de son nez et le sentit à nouveau, comme si l’horrible mixture était un parfum exquis. Mais il y a là assez de feu grégeois pour le montrer au roi, assez pour qu’il le donne à ses alchimistes. Cela peut sauver le comte… »
Un éclat de rire retentit derrière nous, tonitruant et triomphant, et nous figea sur place. Nous nous retournâmes lentement. Derrière nous se tenait Toky dont le visage ravagé se fendait en un sourire narquois. Il était accompagné de deux hommes : l’un petit et robuste, avec une barbe clairsemée, et l’autre plus jeune, l’air moins dangereux. Celui-là, je l’avais déjà vu quelque part. Tous trois avaient l’épée au clair. « Toi, le déplumé, lâche ton arme, ordonna Toky d’une voix âpre. Vous n’êtes que deux. » Barak hésita un moment, puis laissa tomber son épée avec fracas.
Toky sourit à nouveau. « Ah ! mes jolis messieurs, nous vous attendions. Corbleu, vous êtes durs à tuer. Mais vous voilà pris. » Il désigna son plus jeune complice. « Messire Jackson vous a vus boire de la bière à Potter’s Lane et il a couru nous prévenir. Nous avons cadenassé la porte pour que vous ne vous doutiez pas de notre présence, nous nous sommes cachés au coin de
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