Les larmes du diable
Lincoln’s Inn où je lui avais trouvé l’air curieux et insistant d’un aimable rongeur. Je me détournai de son regard terrifié.
Il y avait une désinvolture choquante dans la façon dont les deux hommes avaient été supprimés. On eût dit que les assassins avaient simplement enfoncé les portes, puis abattu les frères comme des animaux, chacun d’un coup de hache. Ils avaient dû surveiller la maison et attendre que les femmes sortent. Je me demandai si, en entendant qu’on enfonçait la porte d’entrée, Michael et Sepultus s’étaient enfermés à clef dans l’atelier, dans le vain espoir de se protéger.
Michael portait une blouse grossière par-dessus sa chemise. Qui sait s’il n’était pas en train d’aider son frère. Mais à quoi ? Je regardai à l’entour. Jamais je n’étais entré dans un atelier d’alchimiste. Je me tenais soigneusement à l’écart de cette confrérie, qui avait la réputation de se composer en majorité d’imposteurs notoires. Mais j’avais vu des gravures représentant leurs ateliers ; or là, il manquait quelque chose. Les sourcils froncés, je m’approchai d’un mur tapissé d’étagères ; sous mes pieds craquaient des éclats de verre brisé. Un des rayonnages était chargé de livres, mais les autres étaient vides. Voilà ce que j’avais vu sur les gravures : les antres des alchimistes étaient pleins de bouteilles, de liquides etde poudres. Rien de tel ici. De plus, certains bancs étaient couverts de cornues aux formes bizarres. Le verre brisé par terre, sans doute. « Ils ont emporté ses potions », murmurai-je.
Je pris un livre sur l’étagère, Epitome corpus hermeticus , et le feuilletai. Un passage était souligné : « La distillation est l’exaltation de l’essence d’une matière sèche, par le feu ; ainsi, par le feu, nous arrivons à l’essence de toute chose, cependant que tout le reste est consumé. » Secouant la tête, je reposai le volume et portai mon attention vers les restes du coffre. La cheminée et le mur derrière elle étaient noircis, comme la cour.
Le contenu du coffre gisait épars sur le sol : lettres et documents, dont un ou deux portaient l’empreinte d’un pouce sanglant. Les assassins avaient donc fouillé. Il y avait un document daté de trois ans auparavant, concernant la vente de la maison à Sepultus et Michael Gristwood, et un contrat de mariage entre Michael Gristwood et Jane Harper, établi dix ans plus tôt. D’après ses termes, le gendre aurait hérité de tous les biens du père de Jane, une clause d’une générosité inhabituelle.
Par terre, quelque chose attira mon regard. Je me penchai et ramassai une pièce d’or d’un angel, tombée d’un sac qui en contenait vingt autres. On n’avait pas emporté l’argent des deux frères. Ainsi, ce n’était pas cela que cherchaient les assassins. Je me levai, empochant l’angel. Dans l’atelier, une autre odeur commençait à l’emporter sur celle du soufre : l’odeur douceâtre et écœurante de la décomposition. Je marchai sur quelque chose qui crissa sous mon talon. J’avais cassé une délicate balance d’alchimiste. Celle de Septulus. Bah, il n’en aurait plus l’usage. Après un dernier regard aux restes ensanglantés, je quittai la pièce.
Jane Gristwood était assise, telle que je l’avais laissée. À côté d’elle, Susan, qui sirotait un breuvage dans une coupe en bois, leva les yeux avec nervosité à mon retour. Je pris la pièce d’or et la posai devant sa maîtresse. Elle me regarda.
« Qu’est-ce que c’est ?
— Je l’ai trouvée en haut, dans les restes du coffre de votre mari. Il y a une bourse pleine d’angels, ainsi que l’acte notarié de vente de la maison et d’autres documents. Vous devriez les mettre en lieu sûr. »
Elle hocha la tête : « L’acte de vente de la maison. Elle doit m’appartenir à présent. Cette grande baraque délabrée. Je ne l’ai jamais aimée.
— Oui, elle vous revient légalement, à moins que Michael n’ait des fils.
— Non, il n’en a pas, dit-elle avec une amertume soudaine, avant de relever les yeux vers moi. Ainsi, vous connaissez la loi. Et le droit de succession.
— Je suis avocat, madame, rétorquai-je sèchement, car sa froideur commençait à me déplaire. Peut-être voudrez-vous prendre l’or et les papiers ; il ne va pas tarder à y avoir beaucoup d’allées et venues dans cette maison. »
Elle me regarda fixement quelques instants. « Je ne
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