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Les larmes du diable

Les larmes du diable

Titel: Les larmes du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christopher John Sansom
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l’automne passé, il restait à peine de quoi payer l’enterrement, et plus rien pour Elizabeth.
    — Elle était fille unique ?
    — Oui. Elle voulait venir vivre chez moi, mais j’ai pensé qu’elle serait mieux chez Edwin. C’est que, moi, je ne me suis jamaismarié. Tandis que lui, il a de l’argent et un titre de chevalier. » Une note d’amertume perça dans sa voix.
    « C’est lui le mercier dont parle le libelle ? »
    Joseph opina. « Edwin s’y entend en affaires. Quand il a suivi Peter à Londres, tout jeune, il a tout de suite travaillé dans l’industrie du drap. Il savait où il y avait les meilleurs profits à faire. Aujourd’hui, il possède une belle maison à Walbrook. En toute justice, je dois reconnaître que c’est lui qui a proposé de recueillir Elizabeth. Il avait déjà pris notre mère chez lui. Elle a quitté la ferme il y a dix ans lorsqu’elle a perdu la vue des suites de la petite vérole. Edwin a toujours été son fils préféré. » Il leva les yeux avec un sourire mi-figue, mi-raisin. « C’est notre mère qui tient la maison depuis la mort de la femme d’Edwin il y a cinq ans. Et, bien qu’elle ait soixante-quatorze ans et n’y voie plus, elle régente tout d’une main de fer. » Je vis qu’il tordait son mouchoir, dont la broderie commençait à se déchirer.
    « Edwin est donc veuf ?
    — Oui. Avec trois enfants : Sabine, Avice et… et Ralph.
    — Le libelle dit que les filles sont adolescentes, plus âgées que le garçon.
    — En effet, opina Joseph. Jolies, blondes avec le teint délicat de leur mère. Elles ne parlent que de beaux habits et des jeunes gens qu’on rencontre aux bals des merciers. Bref, d’aimables bavardages de filles. Du moins jusqu’à la semaine dernière.
    — Et le garçon, Ralph ? Comment était-il ? »
    Joseph se remit à tordre son mouchoir. « Son père tenait à lui comme à la prunelle de ses yeux. Edwin avait toujours voulu un fils qui pourrait prendre sa succession. Sa femme, Mary, a eu trois garçons avant Sabine, mais ils sont tous morts en bas âge. Puis elle a eu deux filles et enfin, un garçon qui a survécu. Le pauvre Edwin est accablé de chagrin. Peut-être a-t-il trop aimé son fils pour bien le châtier… » Il s’interrompit.
    « Pourquoi dites-vous cela ?
    — Ralph était un petit diable, il faut bien le reconnaître. Toujours prêt à jouer des tours. Sa pauvre mère n’arrivait pas à le faire obéir. » Joseph se mordit la lèvre. « Pourtant, il avait un rire désarmant. Je lui avais acheté un jeu d’échecs l’année dernière et il adorait cela. Il a eu vite fait d’apprendre et de me battre. » À la tristesse de son sourire, je devinai toute la solitude qu’entraînerait pour Joseph une brouille avec sa famille. Il n’avait pas agi ainsi de gaieté de cœur.
    « Comment avez-vous appris la mort de Ralph ? demandai-je.
    — Edwin m’a envoyé une lettre par porteur spécial le lendemain du jour où c’est arrivé. Il me demandait de venir à Londres et d’assister à l’enquête. Il devait reconnaître le corps de Ralph et ne pouvait supporter l’idée d’affronter seul cette épreuve.
    — Vous êtes donc venu à Londres il y a une semaine, c’est cela ?
    — Oui. J’ai identifié le corps officiellement avec lui. C’était horrible. Voir le pauvre Ralph étendu sur cette table crasseuse, le visage tout blanc, avec son petit pourpoint. Le malheureux Edwin a éclaté en sanglots, lui que je n’avais jamais vu pleurer jusque-là. Il a sangloté sur mon épaule en répétant : “Mon petit garçon, mon petit garçon. La méchante sorcière.” — En parlant d’Elizabeth ? »
    Joseph hocha la tête. « Après quoi, nous sommes allés au tribunal pour entendre les témoignages devant le coroner. L’audience n’a pas été longue. J’ai été stupéfié par sa rapidité. »
    Je hochai la tête. « Je sais que Greenaway a tendance à expédier un peu les procédures. Qui a témoigné ?
    — Sabine et Avice d’abord. Cela m’a surpris de les voir sur le banc des prévenus ensemble, si calmes. Je crois que les pauvres petites étaient mortes de peur. Elles ont dit que l’après-midi du drame, elles faisaient toutes deux de la tapisserie dans la maison. Elizabeth était allée s’asseoir dans le jardin pour lire sous un arbre à côté du puits. Elles l’apercevaient de la fenêtre du salon. Elles ont vu Ralph traverser le jardin et lui parler. Puis elles ont entendu un grand cri et un

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