Les larmes du diable
orsque nous sortîmes , B arak me dit qu’il avait des documents à aller chercher. Je récupérai Chancery et passai dans la cour devant la demeure. J’entendis un brouhaha et un cri : « Poussez pas ! » On distribuait les aumônes.
J’avais l’esprit fort troublé. Cromwell et la Réforme en posture critique ? Je me rappelai la détresse de Godfrey, quelques jours auparavant, et les rumeurs qui couraient partout sur la reine. L’ardeur de ma foi avait certes considérablement décliné, mais mon cœur se serrait à l’idée de voir les papistes au pouvoir à nouveau, ainsi que les effusions de sang et le retour à la superstition qui s’ensuivraient.
Je me mis à arpenter nerveusement la cour. J’étais désormais flanqué de ce rustre de Barak. Que faisait-il donc ? « La peste soit de tout cela ! lançai-je.
— Eh là, quelle mouche vous pique ? » Je pivotai sur mes talons et me trouvai nez à nez avec Barak et sa mine narquoise. Je rougis d’embarras.
« Allons, vous n’avez rien à craindre. Je m’énerve aussi comme vous parfois. Mais moi, j’ai un tempérament sanguin. Sa Grâce vous a décrit comme un homme mélancolique, qui garde ses humeurs pour lui.
— Oui, en temps normal », répondis-je d’un ton sec. Je vis que Barak avait une grosse sacoche de cuir pendue à l’épaule.
Il la désigna du menton. « Les papiers de l’abbaye et des documents que mon maître a réunis à propos du feu grégeois. » Il alla chercher sa jument noire et nous repartîmes. « J’ai une faim de loup, dit-il sur le ton de la conversation. Votre femme de charge est-elle bonne cuisinière ?
— Elle fait de bons plats simples.
— Et l’oncle de la fille, vous allez le voir bientôt ?
— Je lui enverrai un message en rentrant.
— Sa Grâce l’a sauvée de la presse. C’est une vilaine mort.
— Douze jours. Nous n’avons guère de temps, ni pour Elizabeth, ni pour ce qui nous concerne présentement.
— Je n’y vois goutte en cette affaire, reprit Barak en secouant la tête. Vous avez raison d’interroger à nouveau la mère Gristwood.
— La mère ? Elle n’a pas d’enfants.
— Ah bon ? Voilà qui ne me surprend guère. Je ne voudrais pas la culbuter, cette vieille guenille !
— Je ne vois pas pourquoi vous en tenez contre elle. Vous n’avez aucune raison de la soupçonner », maugréai-je. Barak grogna. Je me retournai pour le regarder. « Votre maître semble souhaiter vivement que sir Richard Rich soit tenu à l’écart de cette affaire.
— S’il entendait parler du feu grégeois et de sa disparition, il utiliserait l’information contre le comte. C’est lui qui a élevé Rich à sa dignité actuelle, comme il l’a dit, mais c’est un homme qui changerait de maître sans scrupule s’il y trouvait son intérêt. Vous connaissez sa réputation.
— Oui. Il a commencé sa carrière en se parjurant au procès de Thomas More. Beaucoup disent que c’était sur ordre du comte… »
Barak haussa les épaules. Nous continuâmes notre chemin, en direction d’Ely Place, sans plus prononcer un mot. Barak approcha son cheval du mien et me glissa : « Ne vous retournez pas, mais nous sommes suivis. »
Je le regardai, effaré. « Vous êtes sûr ?
— Ma foi oui. J’ai jeté un coup d’œil derrière nous à deux reprises et j’ai vu le même homme. Un gueux qui a une drôle de mine. Là, tournez à l’église St Andrew et entrez dans la cour. »
Il passa le premier sous le porche, et sauta de son cheval à l’abri du haut mur entourant l’église. Je mis pied à terre plus lentement. « Dépêchez-vous, voyons ! » dit-il avec impatience, menant sa jument à l’abri du mur. Puis il passa le nez dehors, aux aguets. Je le rejoignis.
« Regardez, souffla-t-il, le voilà. Ne vous montrez pas. »
Il y avait beaucoup de passants et quelques charrettes, mais un seul cavalier, monté sur une pouliche blanche. C’était un grand gaillard maigre, qui devait avoir l’âge de Barak, avec une tignasse brune encadrant un visage pâle à l’air intelligent, mais tout grêlé de marques de petite vérole. Notre homme s’arrêta, mit une maindevant ses yeux pour se protéger du soleil et scruta la rue en direction de Holborn Bar. Barak me tira en arrière. « Il nous a perdus. Il ne va pas tarder à venir chercher par ici. Mon Dieu, quelle sale tête ! À croire qu’on vient de le déterrer. » Je fronçai les sourcils, trouvant qu’il se montrait bien familier en me touchant
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