Les larmes du diable
Mais vous y viendrez. Quant au bibliothécaire, Bernard Kytchyn, frère Bernard, comme il s’appelait autrefois, j’essaie de le retrouver depuis le jour où lady Honor est venue me parler de tout cela. Afin de m’assurer qu’il ne divulguerait rien. Maiscomme la moitié de ces anciens moines, il a disparu sans laisser de trace.
— Je pourrais peut-être me renseigner auprès de la cour des augmentations. Il doit bien venir chercher sa pension. »
Cromwell hocha la tête. « C’est le domaine de Richard Rich. Mais vous pouvez toujours dire que cela a un rapport avec vos affaires… » Il me lança un regard perçant. « Je ne veux pas que Rich se doute de quoi que ce soit. Je l’ai élevé à la dignité de membre du Conseil privé, mais il n’ignore rien des menées contre moi, et il aura tôt fait de retourner sa veste pour se protéger. Si jamais il allait voir le roi pour lui dire que j’ai perdu le feu grégeois… » Il haussa les sourcils.
« Je voudrais avoir un autre entretien avec dame Gristwood, annonçai-je. J’ai le sentiment qu’elle cache quelque chose.
— À votre aise.
— Enfin, j’aimerais consulter un homme de science. Un apothicaire. »
Il fronça les sourcils : « Pas le moine noir de Scarnsea ?
— C’est un érudit. Je souhaite seulement lui demander des conseils sur l’alchimie, si besoin est. Je n’ai aucune intention de l’impliquer plus que nécessaire.
— Du moment que vous ne lui parliez pas du feu grégeois. Il y a eu des rumeurs concernant sa redécouverte il y a trois cents ans, et le concile de Latran en a interdit l’usage, sous prétexte qu’il était trop dangereux. Un ancien religieux pourrait se sentir lié par cette décision. Ou bien donner la formule à la France ou à l’Espagne, où les communautés monastiques sont toujours florissantes.
— Il ne ferait pas une chose pareille. Mais je ne souhaite pas le mettre en péril.
— Je vois que cette affaire vous intrigue, Matthew, déclara Cromwell avec un sourire soudain.
— Je vais m’appliquer à l’éclaircir. »
Il approuva. « Si vous avez besoin de quoi que ce soit, venez me le demander. Mais il faut faire vite. Jack sera à vos côtés pour vous aider, je le mets à votre disposition. »
Je regardai fixement Barak. Mes sentiments devaient se lire sur mon visage, car il eut un sourire sarcastique.
« J’ai pris l’habitude de travailler seul, dis-je.
— Dans le cas présent, vous aurez besoin d’aide. Jack habitera chez vous. Vous vous accoutumerez à ses manières un peu rudes. »
Je savais déjà que Barak se méfiait de moi mais Cromwell aussi, semblait-il, puisqu’il m’imposait la présence de Barak pour me surveiller.
J’hésitai, puis me lançai.
« Votre Grâce, je dois également m’occuper du procès Wentworth. »
Il haussa les épaules. « Soit. Là aussi, Jack vous aidera. Mais notre affaire passe avant. » Il fixa sur moi ses yeux durs. « Si vous échouez, tous ceux qui me sont proches courent un risque. Votre vie pourrait également être menacée. »
Il agita une clochette et Grey arriva, l’air soucieux.
« Grey est au courant. Informez-moi chaque jour de vos démarches. Si vous voulez me faire parvenir des nouvelles ou une requête, passez par lui, et personne d’autre. »
Je hochai la tête en signe d’assentiment.
« Je ne peux avoir confiance en personne en ce moment, gronda-t-il. Ni à ceux que j’ai fait entrer au Conseil privé, ni même à mes gens, que Norfolk paie pour m’espionner. Mais Grey est à mon service depuis l’époque où je n’étais rien, hein, Edwin ?
— En effet, Votre Grâce. » Grey hésita. « Messire Barak fait-il aussi partie de l’entreprise ?
— Oui. »
Grey pinça les lèvres. Cromwell le regarda : « Matthew se chargera de tout ce qui requiert de la diplomatie.
— C’est… heu… préférable.
— Et Jack s’occupera de ce qui requiert de la poigne, voilà. »
Je vis Barak qui étudiait le visage de son maître. Derechef, je remarquai cette expression de sollicitude et je compris qu’il s’inquiétait pour Cromwell. Et peut-être aussi pour son propre sort.
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10 . L’acte des Six Articles (1539) visait à établir la suprématie de la religion anglicane en Angleterre. Si l’autorité du pape n’était pas reconnue, tous les autres points étaient en accord avec la doctrine catholique. En vertu de cet acte, les persécutions contre les ardents partisans de la Réforme reprirent.
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