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Les larmes du diable

Les larmes du diable

Titel: Les larmes du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christopher John Sansom
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retourna dans ses mains puissantes. La miniature que j’avais vue sur son bureau des Archives.
    « La cause de la Réforme chancelle, Matthew, murmura-t-il. La situation est bien pire que ne le laissent croire les rumeurs. Le roi a peur, et chaque jour davantage, à mesure que Norfolk et l’évêque Gardiner lui distillent leur poison dans l’oreille. Il a peur que les gens du commun lisent la Bible et que cela les incite à renverser l’ordre social pour provoquer une anarchie sanglante, à l’instar des anabaptistes à Munster. Les réformateurs radicaux risquent de périr sur le bûcher. Vous savez que Robert Barnes a été arrêté ?
    — J’étais au courant. » Je poussai un profond soupir. C’était la dernière chose dont j’avais envie d’entendre parler.
    « L’acte des Six Articles 10 promulgué sur les instances du roi l’an dernier nous renvoie dans le giron de Rome, et maintenant il veut qu’on interdise aux classes inférieures de lire la Bible. Par-dessus le marché, il a peur d’une invasion.
    — Nos défenses…
    — N’ont jamais été susceptibles de repousser une attaque combinée de la France et de l’Espagne. Le roi François et l’empereur Charles sont brouillés, la menace est donc écartée pour l’instant, mais tout peut changer. » Il prit la miniature et la posa au-dessus de la Bible. « Vous peignez toujours pour votre plaisir, Matthew ? »
    Je le regardai, surpris par le changement de sujet. « Pas depuis quelque temps, Votre Grâce.
    — Donnez-moi votre avis sur ce portrait. »
    Je l’examinai. La femme était jeune, avec de jolis traits, mais une expression un peu niaise. L’image était si nette, si réelle, qu’on pouvait s’imaginer voir la personne à travers une fenêtre. D’après les pierreries incrustées dans son élégante coiffe et sur le col de sa robe montante, il s’agissait d’une dame fortunée.
    « Un très beau travail, répondis-je. On dirait une miniature peinte par Holbein.
    — C’est en effet une œuvre de Holbein. Le portrait d’Anne de Clèves, notre reine actuelle. Je l’ai gardé lorsque le roi me l’a jeté à la figure. » Il secoua la tête. « Je croyais pouvoir renforcer en même temps nos défenses et notre foi réformée en faisant épouser au roi une princesse allemande. » Il eut un rire bref, amer. « Après la mort de la reine Jane, j’ai passé deux ans à lui trouver une princesse étrangère. Cela n’est pas allé sans mal. Il a une certaine réputation. »
    Il fut interrompu par un toussotement. Barak regardait son maître avec inquiétude. Cromwell se remit à rire.
    « Jack m’avertit que je vais trop loin. Mais vous avez prêté serment de garder un silence total sur le sujet, Matthew, n’est-ce pas ? » Ses yeux bruns et durs vrillèrent les miens lorsqu’il appuya sur les mots.
    « En effet, Votre Grâce. » Je sentis la sueur perler à mon front.
    « Le duc de Clèves a finalement accepté de nous donner l’une de ses filles. Le roi voulait voir dame Anne avant de l’épouser, mais les Allemands ont pris cela comme un affront. Aussi ai-je demandé à maître Holbein d’exécuter son portrait. Après tout, il est réputé pour l’exactitude de ses représentations.
    — Personne en Europe ne s’y entend mieux que lui. » J’hésitai. « Et pourtant…
    — Et pourtant, qu’est-ce qu’une représentation exacte , n’est-ce pas, Matthew ? Nous sommes tous différents lorsque nous sommes vus sous des jours différents. Or on ne peut jamais tous les appréhender d’un seul coup d’œil. J’ai recommandé à Holbein de la peindre sous son jour le plus flatteur. Ce qu’il a fait. Et c’était encore une erreur. Vous voyez pourquoi ? »
    Je réfléchis un instant.
    « Le portrait est de face…
    — Oui, ce n’est que lorsqu’on la voit de profil qu’on s’aperçoit qu’elle a un long nez. De même, le portrait ne donne aucune idée de l’odeur de fouine qu’elle dégage, ni de son incapacité à parler un seul mot d’anglais. » Les épaules de Cromwell se voûtèrent. « Quand elle a débarqué à Rochester en janvier, le roi s’estpris d’aversion pour elle au premier regard. Et maintenant, le duc de Norfolk met sous le nez du roi sa nièce, envoyée tout exprès pour lui plaire. Catherine Howard est jolie, elle n’a pas encore dix-sept ans et il est séduit. Il salive devant elle comme un vieux chien qui voit un beau morceau de viande, et m’en veut de l’avoir affublé d’une

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