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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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sur Nolwenn pour lui crêper le chignon, toutes griffes dehors. L’autre riposta en lui arrachant sa coiffe. Les deux lavandières hurlaient comme des poissonnières de Saint-Malo en échangeant des torgnoles.
    Dahud leva le nez et poussa un ricanement sinistre en observant l’échauffourée.
    – V’là qu’elles huchent comme si elles avaient vu le loup, ces gourgandines, éructa-t-elle d’un ton méprisant. Qu’elles s’entretuent, ça fera de la place…
    Gwenn, qui jusqu’à présent n’avait rien dit, ne put s’empêcher d’intervenir :
    – Pourquoi êtes-vous si amère, mamm-goz  ? Je compatis à votre douleur, comme nous toutes ici, mais ce n’est pas une raison pour souhaiter la mort des gens…
    Dahud jeta un regard perfide à la jeune femme.
    – Qu’est-ce que t’en sais, de ma douleur ? T’as perdu une fille, toi, pour parler à ma place ? Vous, les fumelles 5 ,vous êtes à l’âge où on se fait belle pour plaire aux garçons. Vous y connaissez rien à la vie. Annaïg, elle était bien pareille à vous toutes et voilà où ça l’a menée. Au fond du trou. Ah ! c’est moins joli pour parler d’amour, quand on a les vers qui sortent des orbites des yeux ! Car c’est ça, la mort, t’entends, Gwenn ? Des vers qui se régalent et des os qui pourrissent. Le paradis et l’enfer, c’est des racontages de curés. Y a rien d’autre après, t’entends ? Rien ! Et moi, quand je vous vois toutes gaies et vivantes avec vos joues fraîches et vos yeux qui brillent, alors que mon Annaïg est six pieds sous terre, j’ai envie que d’une chose. Que vous alliez toutes la rejoindre dans sa châsse 6 . Elle vous fera d’la place, allez ! Comme ça, les vers ils auront plus à bouffer et moi j’entendrais plus vos baragouins et vos décoquillages 7  !
    Gwenn observait la vieille lavandière avec un mélange de tristesse et de réprobation.
    – La souffrance vous a rendue méchante, mamm-goz . Vous êtes bien à plaindre…
    Dahud la dévisagea un instant en silence, sans se départir de son petit sourire fourbe. Puis elle reprit d’un ton lugubre :
    – Tu peux toujours causer, ma belle… La lavandière de sang t’emportera comme elle a emporté ma fille. Elle vous emportera toutes… Riez tant que vous voudrez. Pleurez, criez, si ça vous chante. Elle saura bien vous trouver pour vous emporter avec elle au fond du doué …
    Les jeunes filles avaient fini de se disputer et, l’air maussade, s’étaient remises à essorer leurs draps.
    Dahud se mit à chantonner à mi-voix :
    L’ossuaire
    A mis de la poussière
    À nos robes de deuil.
    Tords, tords la guenille.
    Si tu ne tords plus vite,
    Nous te tordrons le cou.
    1 . Personne folle qui regarde la lune en marchant.
    2 . Bougresse.
    3 . Je vais t’assommer.
    4 . Gifle.
    5 . Femelles.
    6 . Cercueil.
    7 . Décoquiller : rire bruyamment et sottement.

37
    Le soir commençait à baisser, teintant le ciel d’une couleur sale et maussade. La pluie d’automne s’était remise à crachoter, piquant les visages comme des pointes d’épingle. Dès que l’on sortait du chemin empierré, on pataugeait dans la mouillasse 1 et on enfonçait ses sabots dans des trous marécageux où l’on pouvait s’enliser et se crotter les braies ou les cottes.
    Dahud était rentrée après sa buée et, après avoir soigneusement clos la croisée et l’ usset , s’était aussitôt affairée au milieu de ses fioles et de ses bocaux, décapsulant les couvercles pour en humer le contenu, faisant sa sélection d’herbes et de racines au jugé, guidée par l’habitude, les réduisant en poudre ou les touillant dans des pots. Elle concoctait ses remèdes avec la dernière cueillette qu’Annaïg avait faite un mois plus tôt pour la nuit de Samain. Lorsque les herbes seraient épuisées, la lavandière cesserait sa médecine du diable. Elle n’avait plus envie d’aller courir les sentines en pleine nuit. Elle n’en avait plus la force ni le cœur, depuis qu’Annaïg était partie. Mais cela n’aurait bientôt plus aucune importance. D’ailleurs, plus rien n’aurait d’importance.
    Tout en plongeant son mélange dans la marmite, elle interpella une silhouette sombre qui se tenait en face d’elle, à l’autre bout de la pièce.
    – Il va venir, tu vas voir… Ça fera un mois ce soir. Il va venir comme d’habitude, même si la petite n’est plus là. Les enveloppes, elles étaient pour elle. Maintenant, elles seront pour sa

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