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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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avouer comme péchés ? Elle était simple et bonne et ne pensait jamais à mal.
    Elle n’éprouvait pas le besoin d’avouer des fautes qu’elle n’avait pas conscience d’avoir commises. Mais elle devait seconfier. Il lui sembla alors que le petit confessionnal de l’église de Concoret serait le lieu idéal pour déverser enfin au creux d’une oreille attentive et compatissante tout ce qu’elle avait sur le cœur.
    Elle décida de s’y rendre dès le lendemain.
    1 . Prairie marécageuse.

38
    – Mathurin, vous vous arrêterez un instant au cimetière avant de me conduire à l’endroit habituel.
    Le cocher poussa un grognement pour signifier qu’il avait entendu l’ordre du baron et fit claquer son fouet au-dessus des oreilles des deux chevaux qui traînaient la calèche. Mathurin n’était pas son vrai nom, mais un sobriquet dont on l’avait affublé à cause de son ventre proéminent qui rappelait celui du personnage des contes populaires. Le bonhomme n’en prenait pas ombrage, en tirait même une certaine fierté confinant parfois à la suffisance car, par ces temps de disette, un abdomen tel que le sien était un signe de richesse et de bonne santé. Pour le reste, Mathurin était avare de paroles au point qu’on eût pu le croire muet. Son absence totale d’intérêt pour tout ce qui n’était pas son propre ventre était pour son maître un gage de discrétion.
    La calèche se rangea devant la grille du petit cimetière plongé dans l’obscurité. Ensemencé de tombes, planté de croix celtiques en grès que le temps avait penchées comme des mâts de navire bousculés par les tempêtes, ce lieu de l’éternel repos inspirait ce soir-là un sentiment de vague malaise, sans doute à cause de la pluie qui martelait les dalles rongées de mousse et du vent qui hululait sa rage par cette nuit sans lune.
    Le baron sortit de l’habitacle, sa canne à tête de loup en main, son chien sur les talons, boutonna sa veste et coiffa sa casquette pour s’abriter, au moins partiellement, des intempéries. Puis il fit grincer la grille rouillée qu’on ne fermait jamais, enjamba quelques tombes si vieilles qu’elles se confondaient presque avec la terre glaiseuse et suintante d’humeurs létales, puis s’arrêta devant une plaque de granit gris sur laquelle était gravée cette simple mention :
    Annaïg Le Borgne
    1925-1943
    Les couronnes de fleurs déposées sur l’humble tombe un mois plus tôt avaient été dépenaillées par les vents et les ondées. On eût dit des couronnes de mariées fanées avant l’heure.
    Le baron s’accroupit avec difficulté devant la sépulture, à cause de sa jambe, et posa sa main sur la dalle humide et froide. Il avait secrètement payé pour les obsèques, la concession, les fleurs, mais n’avait pas assisté à l’inhumation à cause de la scène de l’église suivie de la fausse couche de Rozenn. Il n’avait pas osé s’y rendre par la suite, par peur des racontars et des indiscrétions. Pourquoi le noble du pays serait-il venu se recueillir sur la tombe d’une simple lavandière, qui aux yeux de tous n’était rien d’autre que la fille de l’une de ses domestiques ? On aurait jasé, bavardé, cancané, imaginé des histoires à dormir debout dans lesquelles il aurait eu immanquablement le mauvais rôle. À cause de sa boiterie et de son chien noir, ne passait-il pas déjà pour un meneur de loups aux yeux des enfants et des villageois crédules ? La fréquentation du cimetière n’aurait fait qu’attiser ces rumeurs et ces superstitions. Au pire, certains auraient même pu approcher de la vérité en supputant les liens clandestins unissant le baron et sa fille illégitime. Lescandale aurait fini par éclater et la réputation des Montfort, déjà ternie à cause du comportement de Philippe, aurait été définitivement foulée aux pieds.
    Il s’agissait donc de la première fois où Hubert s’autorisait à venir dire adieu à cette fille issue de son sang et de ses reins qu’il n’avait jamais eu la chance de contempler ni de prendre dans ses bras. Il aurait tant aimé, au moins une fois, poser la paume de sa main sur le visage frais et rose de la jolie lavandière. Au lieu de cela, c’est une pierre grise, froide et mouillée qu’il caressait. Un sanglot, trop longtemps réprimé, lui monta dans la gorge. Il l’expulsa dans un hoquet, incapable de se laisser aller aux pleurs qui soulagent le corps, apaisent l’âme et lavent les

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