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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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mémoire, et mon silence…
    La décoction bouillonnait sur le poêle à charbon, dégageant une odeur amère et soufrée, légèrement écœurante.
    – Et puis, il viendra aussi pour le remède de Philippe. Sans lui, il saurait pas calmer ses malaises, ce nigousse. Il a besoin de la vieille Dahud pour pas se tordre de douleur et baver comme un chien qui a la rage… Mais ce coup-ci, je vais pas lésiner sur les doses. Avec ce que je lui mitonne, il guérira pour de bon !
    La vieille lavandière émit un bref ricanement et fit un clin d’œil complice à l’ombre qui ricana à son tour et lui rendit son regard sournois, puis elle jeta dans sa mixture des poudres interdites qu’elle puisa dans ses flacons secrets.
    Dahud ôta enfin la marmite du fourneau pour que son contenu refroidisse. Ensuite, il n’y aurait qu’à le transvaser dans la fiole qu’Hubert viendrait chercher dans un moment. La dernière fiole qu’elle lui donnerait.
    – On a fait du bon travail, pas vrai, ma vieille ? s’exclama-t-elle encore.
    Puis elle fit une horrible grimace aussitôt imitée par l’ombre à qui elle s’adressait et qui n’était que son propre reflet dans le miroir accroché au mur.

    Françoise n’y voyait plus assez clair pour continuer sa tapisserie. La nuit approchait et on n’avait pas encore allumé les lampes, par mesure d’économie. La baronne laissa tomber son aiguille et poussa un profond soupir.
    Depuis la soirée donnée en l’honneur du major, où les Montfort avaient débouché leurs dernières bouteilles de champagne et dépensé au marché noir une petite fortune en victuailles, l’heure était à l’austérité. On se nourrissait de soupe et de pain et on économisait les bougies.
    Mais ce n’était pas cela qui attristait le plus Françoise. Elle souffrait du départ de Rozenn.
    Au fil des semaines, elle s’était habituée à la présence douce et rassurante de celle en qui elle voyait déjà une future belle-fille. Elle était plus que cela, d’ailleurs. Elle était la fille qu’elle n’avait pas eue, plus disponible et à l’écoute que cet orgueilleux de Philippe, qui depuis son départ était plus ombrageux et imprévisible que jamais.
    Tout avait commencé avec cette histoire de lavandière noyée, un mois plus tôt. Une bien triste histoire, mais qu’est-ce qu’on y pouvait ? Les pauvres avaient bien des raisons de mourir, à y bien réfléchir. Qu’ils soient jeunes ou vieux, cela ne changeait rien à l’affaire. Et qu’il s’agisse d’un suicide ou d’un crime, c’était du pareil au même. Le second vient bien souvent anticiper le premier.
    Lorsque Hubert lui avait demandé, ainsi qu’à Rozenn, de dire aux gendarmes que Philippe n’avait pas quitté le château la nuit du drame, Françoise avait accepté sans discuter. Non pas tant pour obéir au baron que pour éviter des ennuis à son fils. De toute façon, elle n’avait pas imaginé une seule seconde qu’il ait pu s’en prendre à une jeune fille. Il aurait été incapable de faire du mal à quiconque, d’ailleurs. C’était son fils, après tout, elle le connaissait mieux que personne. Alors elle avait menti pour servir la vérité, ce qui n’était donc pas un vrai mensonge. Et la vérité, c’est que Philippe ne pouvait être qu’innocent.
    Rozenn, pour les mêmes raisons, avait corroboré le récit imaginé par Hubert. Les gendarmes n’avaient pas semblécomplètement convaincus, mais ils n’avaient pas osé mettre en doute la parole de la famille Montfort, dont la lignée suffisait à garantir une sincérité et une honnêteté à toute épreuve.
    Et puis il y avait eu cette fameuse soirée en l’honneur du major. Un homme délicieux, cultivé et fort galant avec les dames. C’était si rare, en ces temps de décadence… Il avait eu la gentillesse d’inviter Rozenn à visiter son arboretum le lendemain et était venu en personne la chercher avec son automobile blanche. Quelle classe ils avaient, tous les deux !
    Françoise aurait bien aimé se joindre à la promenade, mais le major l’avait poliment évincée. Elle s’était également inquiétée car l’Allemand n’avait ramené Rozenn que fort tard dans l’après-midi. Pouvait-on encore admirer les palmiers et les rhododendrons à la tombée de la nuit ? Et puis Rozenn était si étrange à son retour. Elle avait le regard fuyant, comme si elle ne voulait pas qu’on y lise ses états d’âme. Elle avait même un peu pleuré,

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