Les Lavandières de Brocéliande
dans la soirée. Hubert et Philippe n’avaient pas réagi. Françoise avait cherché à apaiser la jeune fille mais celle-ci l’avait repoussée et était allée s’enfermer dans sa chambre. Le lendemain, Françoise avait voulu revenir à la charge, mais Rozenn s’était évertuée à l’éviter. Pour quelle raison ? Elle l’ignorait.
Enfin, il y avait eu la pénible scène qui s’était déroulée à l’église, pour l’enterrement de cette malheureuse. La mère en deuil, sans doute rendue folle par le chagrin, s’était mise à haranguer Hubert en prononçant des menaces sans queue ni tête. Le recteur lui-même avait dû la maîtriser.
C’est sans doute cet épisode incongru et totalement déplacé dans un saint lieu qui avait achevé de briser la fragile résistance de Rozenn. Elle s’était mise à saigner comme si elle avait reçu un coup en plein ventre. Le médecin avaitété alerté d’urgence, mais il n’avait rien pu faire : la jeune fille avait fait une fausse couche et perdu son bébé.
Un bébé, elle aurait bien pu en faire un autre avec Philippe. Ils étaient jeunes, après tout, et avaient la vie devant eux. Mais le père de Rozenn avait saisi ce prétexte pour rompre les fiançailles et ramener sa fille chez lui. Hubert avait bien tenté de le raisonner, mais cela avait été peine perdue. Philippe, étrangement, ne semblait pas avoir été autrement affecté par le départ de sa fiancée. Il devait être sous le choc de l’émotion, certainement, ce qui pouvait expliquer son absence de réaction.
Le notaire, en revanche, jusqu’alors si placide et soumis à la cause des Montfort, s’était montré fort en colère ce jour-là. Il avait parlé de scandale, et affirmé qu’il ne pouvait supporter l’idée que son nom et la réputation de son étude soient mêlés à une affaire de mœurs et de crime. Il citait à l’appui de ses plaintes des ragots sans doute colportés par les lavandières, ces vipères de lavoir, selon lesquels Philippe aurait eu une liaison avec la victime avant de se débarrasser d’elle. Comment accorder foi à de telles horreurs ? Philippe, criminel ? C’était impossible. Philippe, infidèle ? Cela l’était tout autant. Après tout, il était fiancé ; il avait engagé sa parole auprès d’une tendre jeune fille qui portait un enfant de lui. Jamais il n’aurait eu la bassesse de lui briser le cœur et de l’abandonner. Mais maître Le Bihan n’avait rien voulu entendre et avait traîné la malheureuse Rozenn avec lui, malgré ses pleurs. Car Rozenn aurait voulu rester au château, Françoise en était persuadée. Elle était bien, ici. Elle avait tout ce qu’il lui fallait. La présence d’un fiancé et celle d’une belle-mère attentive, elle qui avait à peine connu sa propre mère. Quel gâchis, décidément.
Françoise se trouvait à présent presque dans le noir. Elle se leva péniblement de son fauteuil et sortit du salon où elle passait toutes ses journées.
Sur le seuil, elle croisa Hubert qui, botté et vêtu de sa veste de chasse, accompagné de son inséparable Kidu, s’apprêtait à quitter le château. Au dehors, la calèche attendait déjà.
– Vous sortez ? demanda Françoise, bien qu’elle connût déjà la réponse.
– Vous le voyez bien, très chère. Je sors, mais ne rentrerai pas tard.
Le baron tourna les talons et, sans un regard ni un mot de plus, grimpa dans la calèche qui, sur un claquement de lèvres du cocher, s’en fut au grand trot.
Françoise poussa un nouveau soupir.
Hubert sortait, comme il le faisait chaque mois, avec une régularité de métronome, depuis près de vingt ans.
Françoise ignorait toujours la nature de ces escapades nocturnes ou feignait de l’ignorer.
Mais son cœur, jours après jours, années après années, s’alourdissait au point qu’elle en perdait parfois le souffle.
Elle ne voulait rien savoir, l’ignorance lui ayant toujours servi de refuge.
En revanche, elle avait besoin de parler, de se décharger de tous ces petits secrets et non-dits qui lui empoisonnaient l’existence.
Parler ? Mais à qui ? Rozenn n’était plus là. Philippe ne l’écoutait plus. Hubert ne lui avait jamais prêté attention.
C’est alors qu’elle songea au recteur de Concoret. Elle était la seule de la famille à se rendre à l’église, pour les grandes occasions en tout cas, mais cela faisait bien longtemps qu’elle ne s’était pas confessée. Qu’aurait-elle eu à
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