Les Lavandières de Brocéliande
paroi de bois ajourée du confessionnal. Le père Jean était assis dans la chaire centrale, de profil, pour éviter de la troubler par son regard. Il tenait les yeux fermés, d’ailleurs, afin de mieux se concentrer et de se laisser porter par l’Esprit-Saint qui lui inspirerait un juste discernement.
La baronne se sentait en confiance dans cette pénombre complice et cette proximité avec cet homme de Dieu, la première personne depuis bien longtemps qui lui accordait de l’attention. Que ce soit Dieu lui-même ou un simple homme, cela n’avait guère d’importance, au fond. L’essentiel était qu’elle fût libre de parler à quelqu’un.
Le recteur lui souffla les prières et actes de contrition que Françoise avait oubliés, puis dit simplement :
– Je vous écoute, ma fille. Dites-moi ce que vous avez sur le cœur.
Puis il se tut. Françoise se sentit soudain embarrassée. Elle ne savait par où commencer. Elle aurait préféré que le prêtre la questionne, l’aide à vider son sac. Mieux encore : elle aurait aimé que, touché par quelque grâce divine, il devine les secrets qui pesaient sur ses épaules depuis si longtemps et les formule à sa façon avant de les balayer d’un revers de manche et de les envoyer tout droit au Ciel. Mais ce n’est pas ainsi que cela fonctionnait. C’était à elle de s’exprimer, d’énoncer sa pensée de façon raisonnée, de dire tout haut ce qu’elle n’avait jamais osé penser tout bas.
Le père Jean, lui, attendait patiemment, la tête inclinée, les yeux clos, comme s’il s’était assoupi.
Françoise, enfin, se décida. Comme elle ne savait pas exactement ce qu’elle désirait confier au prêtre, elle commença à raconter tout et n’importe quoi, avec cette volubilité et cette légèreté dont elle usait avec Rozenn.
Il s’agissait à vrai dire davantage d’un bavardage que d’une confession, mais le recteur laissait dire. Il savait que les pénitents, surtout quand ils ne se sont pas confessés depuis longtemps, tournent souvent autour du pot, évitant soigneusement d’aborder directement les sujets qui fâchent. Ils ont besoin de se mettre en bouche, d’apprivoiser le lieu, d’oublier presque la présence du prêtre immobile, de l’autre côté de la grille. Puis, après avoir épuisé leur répertoire de banalités, ils parviennent enfin à se dévoiler et à libérer leurs ombres.
Lorsque Françoise avoua que, sur l’ordre du baron, elle avait menti aux gendarmes au sujet de l’emploi du tempsde son fils la nuit du crime, le père Jean l’interrompit brusquement.
– C’est très grave, ce que vous avez fait là, ma fille. Il ne s’agit pas simplement d’un mensonge, mais d’un faux témoignage. C’est un acte contraire à l’esprit chrétien, et de plus sévèrement puni par la loi.
– Mais je l’ai fait pour mon fils ! Une mère ne doit-elle pas tout faire pour son enfant ? Et puis, Philippe n’est pour rien dans toute cette histoire, j’en suis certaine…
– Vous êtes bien sûre de vous, ma fille. Et bien légère. Que vous protégiez votre fils, rien de plus normal, en effet. Mais vous n’aviez pas le droit d’interférer dans le bon déroulement de l’enquête, ni de bafouer les commandements de Dieu.
Françoise commençait à regretter de s’être laissé aller à ces révélations qui, loin de lui procurer l’apaisement souhaité, ne faisaient que provoquer la réprobation du recteur. Ce n’est pas ainsi qu’elle avait imaginé les choses. Mais il était trop tard pour revenir en arrière. À présent que l’abcès avait été percé, il lui fallait aller jusqu’au bout. Déballer le linge sale qui ne se lavait plus depuis longtemps en famille. Évoquer les dîners aux silences obsédants et aux regards lourds de sens cachés. Dévoiler les escapades nocturnes de Philippe et de Hubert qui, chaque mois, désertaient le château. Brosser à mots couverts le portrait d’une famille réunie davantage par ses cachotteries que par ses points de convergence. Tout en détaillant ainsi les petits riens sordides qui constituaient son train-train quotidien depuis toutes ces années, Françoise réalisa soudain l’inanité complète de sa vie. Cela lui procura comme un vertige et elle se sentit basculer dans une sorte d’abîme noir.
Le père Jean était rigide quant aux préceptes et dogmes imposés par l’Église, mais il était également un homme bonet compatissant, ouvert aux souffrances
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