Les Lavandières de Brocéliande
ramasser, prenait à l’occasion au collet quelque lièvre ou tirait une grive à la fronde. La seule différence était qu’aujourd’hui il n’était plus seul, mais entouré de garçons de son âge ou plus jeunes que lui qui l’avaient accueilli comme un frère d’armes. Il n’avait plus à avoir honte de sa bosse ou de sa figure mal lavée. Ils étaient, comme lui, des proscrits, ce qui les incitait à l’indulgence et à la tolérance.
Et puis, il y avait Gwenn. Gwenn la belle, Gwenn la blanche, Gwenn la pure, qui risquait sa vie en venant fréquemment retrouver les rebelles du Val-sans-Retour pour leur apporter des vivres, des bombardes 1 de cidre ou des taupettes 2 de lambig . Elle profitait de ces escapades pour converser longuement avec Loïc, qu’elle appelait avec le plus grand respect du nom de guerre dont l’avait baptisé l’abbé Guilloux, Lancelot. Elle lui faisait le récit des événements survenus au village depuis son départ, puis lui racontait des épisodes de ces légendes bretonnes qu’elle tenait de Yann et qu’elle affectionnait par-dessus tout. À l’écouter, le charbonnier découvrait un univers nouveau et insoupçonné, teinté de romantisme et de magie, dans lequel il se sentait infiniment plus à l’aise que dans la réalité misérable dans laquelle il avait été plongé depuis sa tendre enfance. Tout en s’abandonnant à la voix mélodieuse de Gwenn, il revoyait les chevaliers de la Table ronde qu’il avait admirés dans l’église de Tréhorenteuc. Il contemplait surtout le teint clair de Gwenn, ses mèches rousses qui sortaient de sa coiffe, ses yeux pétillants de passion. Il rêvait d’être à son tour un héros véritable, comme l’avait été ce Lancelot dont il portait le nom, afin d’être digne, un jour, de susciter chez la jeune fille un sentiment plus fort que la simple camaraderie.
Loïc aida aussi à améliorer les précaires conditions de vie du petit groupe de résistants en usant de son savoir-faire de charbonnier. Il construisit ou renforça les huttes de bois et de branchages afin qu’elles se trouvent à l’abri du vent ou de la pluie. Il leur montra comment bâtir une fouée et en alimenter lentement la combustion afin d’obtenir uncharbon de qualité qui leur permettrait de se chauffer durant l’hiver qui approchait. Lui qui jusqu’alors avait toujours fait montre de méfiance vis-à-vis des autres se révélait amical et serviable. Il sut très vite se rendre indispensable à la vie du camp.
L’abbé Guilloux ne venait jamais les voir, pour ne pas attirer l’attention d’observateurs malintentionnés sur la cachette où s’étaient repliés les rebelles. Mais il les accueillait bien volontiers dans son église lorsqu’ils souhaitaient s’y rendre. En outre, en homme amoureux de la forêt, il savait reconnaître et imiter les sifflements d’oiseaux, les coassements de crapauds ou les craquètements d’insectes. À l’aide d’appeaux, de cris et de stridulations, le prêtre et les jeunes clandestins échangeaient ainsi à distance des conversations muettes grâce auxquelles le premier pouvait avertir les seconds du passage éventuel d’une escouade de soldats allemands ou annoncer la venue d’un émissaire.
Un matin, un sifflement de merle fut lancé à tous les échos. C’était le signal convenu en cas de visite importante. Les treize garçons ajustèrent leurs baudriers et leurs ceinturons, leurs Mauser et Luger bien huilés dans leurs étuis, coiffèrent leurs bérets basques arborant leurs insignes de maquisards et se mirent au garde-à-vous pour accueillir une petite troupe d’hommes en treillis dont les silhouettes se confondaient avec les feuilles d’automne.
L’un d’entre eux, qui semblait le chef, se détacha des autres et se présenta avec le débit rapide de celui qui n’a pas de temps à perdre :
– Émile Guimard, agriculteur à Lizio, membre des réseaux Action de la France combattante pour le Morbihan. Je travaille en liaison avec Yodi. Je suis venu vous informer que vous allez bientôt rejoindre le maquis Saint-Marcel, àquarante kilomètres au sud d’ici. Je l’ai créé en février dernier pour recevoir des parachutages d’armes en provenance de Londres. Nous avons dû stopper ces manœuvres pour ne pas attirer l’attention des Allemands, mais elles reprendront bientôt, je puis vous l’assurer. Le débarquement allié se fera d’ici quelques mois et il se fera en Bretagne, au cœur
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