Les Lavandières de Brocéliande
Après tout, il était le recteur de cette paroisse et avait payé le vitrail sur ses propres deniers. Cela valait toujours mieux que le trou béant qui perçait jusqu’alors l’extrémité de l’abside.
Ernest Guilloux interrompit son ménage et leva la tête vers l’entrée de l’église. Un homme se tenait là, hésitant àpénétrer dans ce lieu à la fois dévasté et transcendé. Il reconnut le père Jean, le recteur de Tréhorenteuc. Ils ne se fréquentaient guère, car les chemins forestiers qui séparaient leurs deux paroisses ne facilitaient guère les échanges. Et puis, tout semblait opposer les deux hommes, qu’il s’agisse de leur différence d’âge ou de leurs divergences de vues spirituelles. Le père Jean était issu de la vieille école et respectait sans les discuter les dogmes que l’Église lui avait transmis. L’abbé Guilloux, plus jeune, s’était fait remarquer par ses prises de position dissidentes et ses conceptions mystiques taxées de syncrétisme. Mais aujourd’hui, le recteur de Concoret avait besoin d’aide. Et cette aide, seul le prêtre oublié de Tréhorenteuc pouvait la lui fournir.
– Entrez, père Jean ! lança joyeusement Guilloux. Comme vous le voyez, j’étais en train de faire la toilette de ma pauvre église…
Le recteur de Concoret remarqua aussitôt le vitrail des chevaliers de la Table ronde et ne put dissimuler son effarement. Il n’avait jamais vu pareille chose à l’intérieur d’un lieu saint. Il se demanda si cette fois-ci son cadet n’était pas allé trop loin dans la provocation.
L’abbé Guilloux nota le regard de réprobation du vieux prêtre et se justifia d’un sourire.
– Cela peut étonner, au premier coup d’œil, je veux bien l’avouer. Mais ce vitrail est aussi fidèle à l’esprit évangélique que les Cènes et Golgotha, toujours les mêmes, qui parsèment vos chapelles. Approchez, père Jean, pour en distinguer les détails.
Le recteur hésita un instant. Il ne savait que dire, n’osait admirer cette œuvre si peu conforme aux canons catholiques qu’on lui avait enseignés au séminaire, la trouvait pourtant belle, d’une beauté envoûtante où se dissimulait peut-êtrele Malin, et se reprochait le plaisir qu’il éprouvait à la contempler, comme un manquement aux serments qu’il avait prêtés lorsqu’il était devenu prêtre.
– C’est… étonnant, finit-il par avouer d’un air un peu honteux. On perçoit dans ce vitrail une élévation spirituelle, je ne le nie pas. Cependant… Ces hommes d’armes à la place des disciples. Ce roi couronné en bout de table, là où l’on attendrait Notre Seigneur… N’est-ce pas… blasphématoire ?
Il avait prononcé ce dernier mot en baissant le ton, comme s’il craignait d’offenser son hôte ou, en le complimentant trop ostensiblement, de se rendre complice de ce qu’il considérait encore comme une élucubration.
L’abbé Guilloux ne se départit pas de son bon sourire.
– Blasphématoire ? Vous parlez comme notre évêque, père Jean… Pourtant, cette allégorie arthurienne est plus éloquente que jamais par les temps qui courent…
– Que voulez-vous dire ? interrogea prudemment le recteur.
– Les chevaliers de la Table ronde sont les soldats du Christ, ceux qui sont prêts à donner leur vie pour la cause qu’ils défendent. N’est-ce pas le devoir des chrétiens d’aujourd’hui, à l’heure où notre patrie est occupée ?
Le père Jean se racla la gorge. Il ne tenait pas à se laisser entraîner sur un terrain politique et trouvait que ce curé, exilé par sa hiérarchie dans ce trou perdu, tenait des propos un peu trop révolutionnaires. Il commençait à se demander s’il avait eu raison de venir jusqu’ici. Puis il réfléchit au fait que lui-même n’avait pas hésité à défendre la cause des femmes lors de la confession de la baronne de Montfort. Le recteur de Tréhorenteuc n’avait-il pas le droit de défendre celle de la Bretagne ?
– Mais je suppose que ce n’est pas pour admirer les vitraux de mon église que vous avez fait tout ce chemin, enchaîna l’abbé Guilloux qui avait perçu le trouble de son collègue. Que puis-je faire pour vous, père Jean ?
– Eh bien… C’est-à-dire…, bredouilla le recteur en baissant les yeux. J’avais songé à venir vous trouver… pour me confesser à vous.
L’abbé Guilloux ne dissimula pas sa surprise.
– Vous confesser ? Mais… N’avez-vous pas votre
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