Les Lavandières de Brocéliande
tranquillement avec la famille Montfort au grand complet. Tu ne trouves pas la coïncidence troublante ?
Loïc ne répondit pas. Il découvrait les abysses de la bassesse humaine et en avait le vertige.
– Ce n’est pas tout. Le lendemain, on a vu Rozenn, la fiancée complaisante de Philippe, assise dans le cabriolet blanc du major qui l’a entraîné dans son arboretum une bonne partie de l’après-midi. Or, le goût prononcé de l’officier allemand pour les jeunes et jolies femmes est de notoriété publique…
Le bossu continuait à secouer la tête, écœuré par une telle succession de vilenies.
– Pour sauver sa tête, Philippe de Montfort, avec la complicité de son père, n’a pas hésité à te dénoncer aux Allemands et à jeter sa fiancée dans les bras de ce Don Juan germanique. Cela n’a pas porté chance à cette malheureuse fille, d’ailleurs. Elle a fait une fausse couche en pleine église de Concoret le jour de la messe d’enterrement d’Annaïg, comme si la morte se vengeait de la vivante.
– Une fausse couche ? Parce que la fiancée de Philippe était elle aussi…
– … enceinte, oui. Gwenn ne te l’a pas dit ? On ne parle pourtant que de cela au village. Le jeune baron de Montfort semble être un excellent reproducteur. Mais son sens moral laisse plutôt à désirer, c’est le moins qu’on puisse dire. Et tout porte à croire qu’il est coupable de cet affreux crime.
Loïc était au désespoir. Tant de turpitudes le faisaient souffrir presque autant que s’il les avait commises.
– Que dois-je faire, mon père ? finit-il par articuler d’une voix sèche. Dois-je aller trouver les gendarmes et leur dire…
– Tu n’iras nulle part, l’interrompit le recteur. N’oublie pas que tu es un terroriste pour les Allemands… Un résistant aux yeux des villageois, qui sont pour la plupart de bonnes gens et des patriotes… Et pour moi, tu es un chevalier. Pour moi, mais aussi pour Yann et pour Gwenn… J’ai remarqué vos échanges de regards, le mois dernier. Et je sais qu’elle vient souvent te voir dans le Val-sans-Retour, ajouta-t-il avec un sourire complice.
– Elle a pitié de moi…
– Plus maintenant, je peux te l’assurer. Elle commence à t’admirer. C’est une fille honnête et franche, qui ne s’arrête pas à l’apparence des choses et des êtres. Elle sait lire dans les cœurs, et elle a lu dans le tien…
Loïc rougit et ne s’attarda pas sur ce sujet.
– Mais alors, que dois-je faire ? répéta-t-il.
– Rien. Rejoindre le Val-sans-Retour, en attendant d’accomplir les exploits de chevalerie dont tu es digne. Laisse-moi arranger tout cela. Justice sera faite, avec l’aide de Dieu. Va, à présent, mon fils. Il ne faut pas qu’on te surprenne ici.
43
Mardi 7 décembre 1943
Lorsque Gwenn revint de sa buée , le mardi suivant, elle trouva Yann assis à l’entrée de la maison de bois, plongé dans une profonde réflexion. Dès qu’il la vit, son bon visage s’éclaira d’un sourire un peu forcé.
– Qu’est-ce qui ne va pas ? questionna la jeune fille, qui savait déceler au premier coup d’œil les états d’âme de son père adoptif.
– Tout va bien, Gwenn, ne t’inquiète pas, répondit-il avec une assurance factice.
Puis, après avoir croisé le regard clair de la lavandière, il ajouta avec une pointe d’embarras :
– Je dois aller faire une course à Mauron. J’attendais ton retour pour te prévenir… Je suis passé voir l’abbé Guilloux hier. Il y a du nouveau.
Gwenn s’alarma aussitôt.
– Loïc est en danger ? Les maquisards ont été dénoncés ?
Le garde forestier sourit de nouveau, mais de façon moins empruntée.
– Non, ce n’est pas cela… Les maquisards du Val-sans-Retour n’ont rien à craindre pour l’instant. Le recteur de Tréhorenteuc veille sur eux. Et puis, ils ont la chance de recevoir fréquemment ta visite. Pour eux, tu es un peu leurprotectrice, la bonne fée de Brocéliande. Surtout pour Loïc…
Les joues de Gwenn rosirent légèrement et elle baissa les yeux. Ce mouvement de pudeur n’échappa pas à Yann.
– Viens t’asseoir à côté de moi, ma fille, et parlons un peu, tu veux bien ?
Il s’écarta afin de lui laisser de la place sur le banc situé sous l’auvent de la maison. Elle s’assit après avoir défroissé sa cotte et ôté ses sabots où la glaise des chemins était demeurée collée.
– Tu l’aimes bien, Loïc…, dit
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