Les Lavandières de Brocéliande
Yann.
Ce n’était pas une question, mais une simple constatation. Gwenn releva la tête et regarda son père adoptif bien en face.
– Pourquoi dis-tu ça ? Toi aussi, tu l’aimes bien…
– Je ne t’en fais pas reproche. Bien sûr que je l’aime, ce garçon ! Il est franc et courageux, honnête et sans malice. Sa candeur et sa timidité peuvent donner l’illusion qu’il est un peu simple d’esprit, mais cela vaut mieux qu’un excès de cynisme.
– Ce n’est pas un idiot ! le défendit Gwenn. Il ne connaît peut-être pas tout, mais il sait l’essentiel. Et puis il apprend vite… Il n’a pas eu la chance d’étudier ou d’avoir à ses côtés l’être sage et bienveillant que tu as toujours été pour moi.
– Tu me fais bien des éloges ! Je ne sais s’ils sont mérités mais je te suis reconnaissant de le penser, répondit Yann en posant une main paternelle sur l’épaule de Gwenn. Cependant tu sembles oublier une chose qui vous distingue, Loïc et toi, et vous distinguera toujours. Tu es une belle jeune femme, qui même sans éducation saurait plaire à un homme de goût. Tandis que Loïc a été défavorisé par la nature. Il est bossu…
– Bossu ? C’est étrange, je ne m’en rends même plus compte. Je l’avais presque oublié…
Yann se mit à rire.
– Parce que tu le vois avec les yeux du cœur ! Chez les êtres qui nous sont proches, les défauts tendent à s’estomper et finissent même par disparaître. Chez ceux que nous n’apprécions pas, même les qualités deviennent insupportables…
Gwenn ne répondit pas, mais ce paradoxe auquel elle n’avait jamais pensé la plongea dans un abîme de perplexité.
– Cela veut dire que je me trompe à son sujet ? Je l’idéalise peut-être, comme l’un des chevaliers du vitrail de Tréhorenteuc ?
– Et pourquoi pas ? Ne t’ai-je pas appris que l’être humain se nourrit autant d’idéal que de pain, ma fille ?
La jeune femme arborait à présent un air rêveur. D’un doigt, elle entortillait une mèche rousse échappée de sa coiffe.
– Est-ce cela qui semblait tant te préoccuper tout à l’heure ? fit-elle remarquer d’un ton énigmatique.
Yann se renfrogna malgré lui.
– Non. À vrai dire, je ne pensais pas à Loïc avant que tu m’en parles. Je songeais plutôt à Philippe.
Gwenn se redressa d’un bond, piquée au vif, les yeux furibonds.
– Ne me parle plus de lui ! Je l’estimais mais il n’est qu’un traître. Ce matin encore, au doué , on disait qu’il…
– Calme-toi, ma fille, l’interrompit Yann en la forçant à se rasseoir. Je sais bien ce qui se dit à son sujet au doué et au village. L’abbé Guilloux m’en a fait le récit détaillé…
– Lui ? Mais il ne quitte jamais son église de Tréhorenteuc. Comment peut-il savoir ?
– Il est bien informé, ne t’en fais pas. Mieux que n’importe qui. Il ne sort pas de son église, c’est vrai, mais certainsvont le voir. Et il est le seul à pouvoir trier les graines de la vérité enfouies dans le grand sac de calomnies et médisances. Or, ces graines sont aujourd’hui suffisamment nombreuses pour nous pousser à agir…
– Que veux-tu dire ? interrogea Gwenn d’un air soupçonneux. Les accusations contre Philippe seraient fondées ? L’abbé Guilloux aurait des preuves ?
– Des preuves, non. Mais des éléments de preuve. Et des témoignages récents qui éclairent sous un jour nouveau…
– … la mort d’Annaïg ?
– Entre autres… Tout cela est encore à éclaircir. C’est pourquoi l’abbé Guilloux s’est confié à moi.
– Pourquoi toi ?
Yann hésita.
– Disons qu’il me fait confiance et que lui-même ne peut agir sans rompre son serment d’homme d’Église. Il s’est déjà suffisamment impliqué comme cela… Et puis… les révélations qu’il m’a faites ne concernent pas uniquement Philippe et les Montfort. Elles ont également un lien avec toi… et ta famille.
– Ma famille ? s’alarma la jeune femme en pâlissant soudain.
– Oui, ta famille dont la mémoire est enfouie depuis si longtemps dans le coffre caché au fond du gwele kloz que je t’ai montré voici un peu plus d’un mois.
Gwenn se tut un instant, le temps de mesurer la portée de ce que venait de lui dire Yann.
– Cela veut dire que je vais enfin connaître l’identité de mes parents, le secret de mes origines ? Tu vas rouvrir le coffre ?
– Bientôt. Très bientôt,
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