Les Lavandières de Brocéliande
jacasser ! se défendit-elle. En tout cas, même si ça arrivait, je ne serai ni la première ni la dernière à courir le guilledou. Ça n’empêche pas de rester honnête, tant qu’on ne met pas le petit Jésus dans la crèche avant d’être passé à l’église, devant le recteur ! Y en a d’autres qui n’ont pas la patience d’attendre. Elles préfèrent fêter Noël en plein été !
Disant cela, elle lorgnait du côté d’Annaïg qui lui répondit par une mine furibonde.
– Il faut dire que les beaux cavaliers savent parler aux lavandières, comme le dit la chanson, poursuivit Margarit. D’ailleurs, ils parlent tellement bien qu’ils ne contentent pas d’une seule amoureuse. Il leur en faut plusieurs !
Cette fois-ci, ce fut au tour de Gwenn de lever le nez de sa buée . Annaïg lui lançait des regards venimeux. Les deux lavandières se défièrent un moment, tandis que les autres filles poursuivaient leur chanson :
Que donneriez-vous, belle,
J’irai vous le chercher.
J’ai cent écus en bourse,
Je vais vous les donner.
Le garçon se dépouille,
Dans l’étang a sauté.
Dahud, l’air glacial, observait le silencieux duel qui opposait sa fille à Gwenn. Elle n’était pas née de la dernière pluie et avait parfaitement compris à quel beau et jeune cavalier les lavandières songeaient en scandant leur couplet. Il s’agissait de Philippe de Montfort, le fils unique du baron et de la baronne qui occupaient le château de Ker-Gaël. Âgé de vingt-quatre ans, grand et bien découplé, le port altier, le cheveu blond et le teint pâle ainsi qu’il sied aux nobles, Philippe était un cavalier émérite qui passait le plus clair de son temps à chevaucher dans la forêt sur son superbe étalon alezan. Il aimait à chasser aussi mais, depuis le début de la guerre, les chasses à courre ayant été interdites, Philippe se contentait de galoper des heures durant dans les sous-bois, préférant la compagnie de sa monture à celle de ses contemporains. Car le jeune homme était fier de sa naissance et semontrait distant, voire hautain, avec ceux qui n’étaient pas de son rang.
Ce dédain, pour autant, n’était pas universel. On disait que Philippe était un vert galant qui n’hésitait pas à faire la cour aux servantes, aux filles d’étable ou aux jolies lavandières. Ces amours ancillaires n’étaient que des passades. On ne connaissait au jeune homme aucune liaison stable. Existaient-elles seulement, ces liaisons supposées ? Dahud en avait toujours douté. Il suffit qu’un beau garçon sorte du lot, par la prestance de son allure ou l’éclat de son nom, pour qu’aussitôt on lui prête des aventures. Si bonnes fortunes il y avait, le jeune noble n’en avait en tout cas jamais fait étalage, et nulle porteuse de cotillons n’était venue s’en vanter.
À plusieurs reprises, Dahud avait envoyé Annaïg à Ker-Gaël pour y rapporter le linge fraîchement lavé. La mère avait cru remarquer, une fois ou deux, que sa fille traînait un peu en chemin pour revenir du château et s’empourprait lorsqu’elle lui en faisait la remarque. Dahud avait pris soin, par la suite, de ramener elle-même les brouettées de linge au château. Peut-être avait-elle un peu trop tardé…
Quant à la réaction de Gwenn, elle était plus compréhensible. L’orpheline se tenait à l’écart des gens du village mais appréciait la compagnie de Philippe avec qui elle entretenait une amitié qui se jouait des barrières sociales, fondée sur une forme de connivence et de respect réciproques. Dahud savait que cette amitié se vivait au grand jour, et non dans l’ombre complice des sous-bois. Il n’y avait qu’à lire dans le regard clair de Gwenn pour s’en persuader. À moins que… Dahud se promit d’être à l’avenir plus attentive aux allées et venues du beau et jeune cavalier et des lavandières.
Pendant que Dahud poursuivait ses réflexions, les lavandières enchaînaient les couplets.
Du premier coup de nage,
Il a très bien plongé.
Du second coup de nage,
Au fond il a coulé.
Du troisièm’ coup de nage,
Le garçon s’est neyé 13 .
La fille s’est écriée
– Monsieur, vous vous neyez !
– Faut pas l’dire à ma mère
Que je me suis neyé.
Faudra plutôt lui dire
Que je me suis marié.
Elles furent interrompues par l’apparition d’un homme surgi de la forêt proche. Il arpentait le chemin conduisant au village qui longeait le lavoir. Vêtu de
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